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Les témoignages sur Oupa et Granny Le Clercq
Témoignages recueillis en 2001 par Vincent
- de Denise 2001
- de Claudine 2001
- de Ignace 2001
- de Pierre 2001
- de Baudouin Le Clercq 2001
- de Bernard 2001
- de François 2001
- de Thérèse 2001
- discours de Houpa 1964
Vie de famille (Nicole)
Bonjour tout le monde
Je dois d'abord vous dire que j'ai eu une jeunesse très heureuse et que je remercie mes parents et mes sœurs de m'avoir si bien accueillie, malgré la déception de tous à ma naissance : catastrophe je n'étais qu'une fille de plus ! La cinquième. Je n'ai pris conscience de cela que longtemps après et je peux comprendre que papa se trouvait en minorité masculine : mais cela ne l'a pas empêché de m'accueillir et de m'aimer.
J'aimais bien notre grande maison de la place de l'industrie, n°1(actuellement square de Mééus). Elle avait une façade sur la verdure, le long du square, ce qui nous permettait de suivre les saisons, de voir fleurir au printemps les gros marronniers, et d'aller jouer et voir les parterres de fleurs pleins de couleurs et de formes, qui se renouvelaient à chaque saison.
De notre maison, c'est le grand escalier avec des peintures murales genre Watteau que je préférais. Et aussi l'escalier tournant qui montait au 2ième étage et où je m'asseyais près de la fenêtre pour contempler longuement mon amie madame la Lune qui me fascinait.
Mes grandes sœurs étaient en classe à la Sainte Famille, 5 rue Guimard (près de l'église St-Joseph et du Conseil d'Etat). II n'existait pas de jardin d'enfants, et maman aimait me garder près d'elle. Je l'accompagnais partout.
Les après-midis de beau temps, j'allais me promener au grand Parc, devant le palais du Roi, accompagnée par ma chère Angèle, une des 3 sœurs originaires de Moerbeke-Waes, qui étaient en service chez nous dans les années 26-34 (?). Elle était charmante et j'ai regretté de ne l'avoir jamais revue après son mariage.
Pour mes 5 ans, j'ai eu un merveilleux cadeau une trottinette rouge avec de vrais pneus gonflables. Je ne pouvais pas m'en séparer et je demandais parfois de la prendre dans ma chambre à coucher pour ne pas la laisser seule en bas.
II y avait de la vie dans la maison : des amies de mes sœurs ou des amis de mes parents. De temps à autre de grands dîners, surtout quand papa était président de la conférence du jeune Barreau. On allait tout voir et renifler dans les cuisines et surtout on aimait de voir les belles dames avec leurs toilettes de soirée et leurs bijoux. Pour cela on se postait derrière les barreaux de l'escalier du second et on ouvrait nos yeux.
Papa toujours très actif menait de front son cabinet d'avocat, sa vie familiale et ses activités sportives - équitation, chasse, tennis et natation, chez bon papa Le Clercq à Profondsart.
Le Bal de Cour
En janvier 1934, grand évènement : mes parents reçoivent pour Mana (22 ans) et Monique (21 ans) une invitation à être présentées au Bal de la Cour. Cela signifiait : être annoncées par un huissier, se présenter devant le Roi Albert et la Reine Elisabeth, faire une grande révérence... Un certain nombre de jeunes gens et de jeunes filles faisaient ainsi officiellement une "entrée dans le monde" que nous devions sans doute aux contacts assez suivis de papa avec la Reine Elisabeth au sujet des invalides de guerre.
On imagine tout ce que cela signifiait : répétitions pour la révérence devant le Roi et la Reine, cours de danse, robes à choisir et commander chaussures, coiffure etc. On ne parlait plus que de ça, avec maman bien sûr, car papa ne raffolait pas des discussions de ce genre. Ah, ces filles ! Elles ne parlent que chiffons.
Profondsart
Dans les années 28-35, maman nous conduisait chez bon papa Le Clercq, avec la Ford. La piscine y était verte comme un étang mais on s'amusait bien, et j'ai appris à nager sur le dos de papa. Près de la piscine, il y avait un joli bâtiment avec une dizaine de cabines de bain hommes à droite, femmes à gauche, et pour se réchauffer après le bain, bonne-maman Le Clercq servait aux amateurs un verre de quinquina. J'aimais beaucoup d'aller à Profondsart.
II y avait une petite fermette dans le bas du jardin et je jouais parfois avec Florette, car nous avions le même Age. Elle m'apprenait à traire une vache. II fallait nouer un foulard sur sa tête et s'installer sur un petit tabouret à 3 pieds, bien mouiller ses mains avec du lait, caler sa tête entre la cuisse et le ventre de la vache, et essayer de faire sortir du lait de ses pis. Exercice très difficile... la vache sentit tout de suite que j’étais débutante dans le métier et prenait un malin plaisir à me flanquer sa queue dans la figure et à donner un coup de pied dans le seau. Malgré tout, je trouvais cela amusant.
Le retour à Rixensart fut moins drôle. Personne ne voulait m'approcher, vu que je sentais la vache à plein nez, et je fus priée de prendre immédiatement un bain et de changer de vêtements.
J'ai essayé encore une ou deux fois, mais je ne fus jamais une bonne trayeuse...
Près de la villa Le Clercq, il y avait 2 grandes niches avec d'énormes chiens. Oulmar et ? - Cela m'inquiétait un peu quand ils couraient dans le jardin, surtout quand j'allais aux écuries chercher du maïs pour les poules, activité inconnue Rixensart. Bonne maman Sidonie était très "nature" et aimait s'entourer d'animaux : un âne a longtemps réjoui les enfants. Elle était accueillante et veillait à avoir une table bien garnie de nourriture seine et campagnarde.
Elle n'est plus retournée à Bruxelles après la mort de bon papa (1929) et resta encore de longues années dans son cher Profondsart.
Bon-papa est mort subitement en 1929, juste après les mariages de ses 2 fils cadets Charles et Paul tous deux ont fait leur carrière comme avocats à Bruxelles. Alphonse, mon grand-père, était avocat à la cour de cassation. Son portrait se trouve toujours dans la Bibliothèque de la Cour, au palais de Justice. Notre arrière-grand-père, Idesbald Le Clercq était avocat à la Cour d'Appel de Bruxelles. La famille Le Clercq était originaire de Lille. Jeanne Le Clercq, la seule fille d'Alphonse, épousa en 1934 Paul Bribosia, un homme charmant, président du Tribunal de 1ère instance de Namur en fin de carrière. Jeanne travailla avec sa fille Nicole Binard à la généalogie Le Clercq, annexée aux documents.
Charles, Paul et Jeanne eurent ensemble 21 enfants, ce qui fait que la maison de Profondsart était toujours pleine pendant les vacances et nous y allions beaucoup moins souvent. Nous avons toujours gardé d'excellentes relations avec les cousins et cousines Le Clercq : on se retrouvait le 1er janvier au goûter traditionnel offert place de l'industrie par papa et maman, tous deux ainés de famille, ainsi qu'aux mariages et enterrements bien sûr.
Le frère de papa, mon oncle Jean (les 2 enfants du 1er mariage d'Alphonse avec Mathilde Pécher, décédée à 38 ans), était mon parrain. Dans les années 30, il avait loué une charmante maison près de Limal, pour sa famille : tante Marcelle et leurs 3 filles May, Françoise et Jacqueline. Mes sœurs voyaient souvent leurs cousines: elles avaient des souvenirs communs, remontant en partie à la guerre 1914-1918.
La guerre de 1914-1918
Les souvenirs de cette guerre ont été présents pendant toute mon enfance. Papa avait été blessé à l’Yser, au cours de la bataille de Tervaeten, le 22 octobre 1914. Amputé (dans une ambulance du front) de l'avant-bras gauche, il a été transféré en Angleterre et y est resté 18 mois, puis est allé s'installer à Sainte- Adresse, quartier résidentiel du Havre, où était installé le gouvernement belge, pour lequel il travaillait.
A Sainte-Adresse, mon oncle Jean, qui a aussi « fait » la guerre, et tante Marcelle avaient loué une villa voisine de celle de mes parents. Mon oncle Paul Dubost aussi a fait les quatre ans de guerre. Il était observateur dans l'aviation. Il a eu de la chance et ne fut pas blessé. Les petits avions légers de ce temps-là étaient très inconfortables. Le pilote + 1 passager étaient en plein air, sans cockpit, et devaient survoler les lignes ennemies et faire des rapports sur les mouvements de troupes, le matériel d'artillerie, tanks, etc. et le nombre approximatif de soldats dans une région. Travail à risque les pannes d'avions étaient fréquentes, et atterrir en terre belge occupée par les Allemands, c'était être prisonnier de guerre.
Quand oncle Paul ou oncle Jean avaient une "permission", c'est à dire quelques jours de congé pour échapper provisoirement aux horreurs et aux peurs des zones de combats, appelées le FRONT, ils venaient rejoindre papa, maman et leurs filles (Mana, Monique, Alberte née à Londres en 1915, et Denise née au Havre en 1917). Comme vous le remarquerez, la guerre n'a pas empêché les accoucheurs de faire leur boulot...
Nous avons une photo des trois militaires de la famille papa, oncle Jean Le Clercq et oncle Paul Dubost (frère de maman).
J'imagine la joie de tous quand ils purent enfin rentrer en Belgique (début 1919) après 4 1/2 ans de guerre et de séparation de leurs familles et amis. Dans tout le pays, la victoire des alliés fut fêtée avec une liesse populaire indescriptible.
Dans les mois qui suivirent, papa s'occupa beaucoup des invalides, et fonda, avec la Princesse Jean de Mérode, la Fédération nationale des Invalides, dont il fut président pendant de longues années.
Vie de famille 2
Retournons à la place de l'industrie dans les années 28-30. A Pâques, nous allions parfois quelques jours à l'hôtel Zomerlust sur la place Memlinc au Zoute. C'était un grand voyage, et on s'arrêtait à Gand - que l'on traversait par la Cathédrale St. Bavon - pour retrouver la porte de Bruges. On s'arrêtait pour visiter notre tante Jenny Eliat qui nous offrait à déjeuner. Maman aimait bien ses cousins Eliat: Pierre, Adrien, Léopold et Titine. Les autos étaient rares, les routes pavées inconfortables et lentes et on voyait peu les familles habitant une autre ville.
Au Zoute, il y avait les grands amis de mes parents : Pierre et Simone de Jardin, ils habitaient une grande villa avenue Foch et étaient très accueillants : c'était un va et vient d'amis de tous âges.
C'était des grandes promenades dans le Zwin ou le long de la plage jusque Cadsand ou des goûters chez Siska. Souvenirs inoubliables que l'amitié entre ces deux familles.
Moi, j'aimais beaucoup voir la mer, voir tous ces enfants jouer sur la plage et quand maman m'offrait un après-midi de vélo, je roulais sans arrêt dans ces jolis petits sentiers entre les villas (beaucoup moins nombreuses qu'actuellement).
1930: Arrivée de la petite sœur Claudine cette mignonne petite, je trouvais cela merveilleux, surtout les mains et les pieds... Et dès que j'avais le temps, j'assistais au bain et donnais (parfois) le biberon, quoi qu'il y avait mes sœurs, maman, et au début la garde, engagée pour s'occuper de Claudine : on s'arrachait ce bébé.
Quelle joie pour mes parents que l'arrivée de notre petite sœur leur apportait ! Cela les a tenus jeunes si longtemps, jusqu'à l'arrivée des petits enfants. Pierre M.B., le premier, est né en octobre 1937, et le 25ième, Géry Delacroix en 1966.
Les grands événements de la famille ont été les fiançailles et les mariages de mes 4 sœurs. Alberte et Guy Mourlon Beernaert se sont mariés en 1936, Mana et Jean Melot en 1937, Monique et Robert Henry de Frahan en 1938 et Denise et Albert Greindl en février 39. Branle-bas de combat dans la famille, pendant toute cette période : le mariage d'une fille était une grande affaire pour les parents, surtout la mère évidemment. Il y avait des tas d'obligations : acheter le mobilier et meubler un appartement, un trousseau (linge de table, de literies, etc.), et organiser la journée du mariage. Tout cela à charge des parents de la jeune fille. Les parents du jeune homme ayant supporté les frais de l'instruction et des études universitaires de leur fils, payaient seulement le voyage de noces. Actuellement les 2 familles interviennent plus équitablement. Alberte, puis Mana, puis Monique louèrent un appartement dans l'immeuble Woeste, rue de Naples 15, à Ixelles. C'était à 300 mètres de notre maison. Maman y allait tous les jours rendre service à l'une ou l'autre ou promener les enfants. Par beau temps les jeunes mères de l'immeuble se retrouvaient dans le jardin et les gosses s'amusaient.
J'allais aussi régulièrement voir mes sœurs, beaux-frères et neveux avec Claudine. Nous étions toujours si bien accueillies. Denise trouvait parfois que mes sœurs habitaient trop près de leur mère, mais elle se
Ce fut une période très heureuse pour nos parents (malgré la guerre) de voir leurs 4 ménages et leurs enfants, tout proches et très unis.
Noël
Les grands événements de la place de l'industrie étaient les fêtes de Noël. Les enfants, dès le plus jeune âge, jouaient dans une pièce, ou dansaient ou chantaient. Tout le monde s'y mettait pour faire une belle fête, qui suivait l'arbre de Noël. Monique avait un don de mettre en place des sketches retraçant les événements familiaux, avec répétitions et costumes, et un rôle pour chacun. C'était toujours très réussi et on était récompensé pour ses peines. Malheureusement, les Greindl étant souvent à l'étranger ou au Congo, étaient souvent absents. Nous passions 4 ou 5 jours à Bruxelles où nos enfants se mêlaient à leurs cousins. Les petits provinciaux, aux yeux des bruxellois, habitaient très loin (54km !). Il y avait pour eux, Bruxelles... et puis le reste du pays.
Les Dubost et le "Quartier Léopold"
Le quartier Léopold s'étendait de l'avenue des arts (petite ceinture actuelle) à la ligne de chemin de fer allant de la gare de Luxembourg à la gare du Nord.
Ce quartier a été construit à partir des années 1900. Le bas de la ville et le centre de Bruxelles situé rue Neuve, boulevard Anspach, Place de Brouckère, Eglise du Béguinage etc. devient un quartier d'affaires et de commerce et le quartier résidentiel s'installe dans le haut de la ville, autour de l'église Saint-Joseph et du couvent des Rédemptoristes. Devant l'église, le square Frère-Orban et sur le côté "le palais des ducs de Brabant" prince Albert et princesse Elisabeth.
Bon papa Edouard Dubost, d'origine française, achète une maison 50 av. des Arts et y installe le notariat venant de son beau-père Eliat, à qui il a succédé.
Notre arrière-grand-père Eliat avait son étude de notaire rue Neuve, en face de l'Eglise du Finistère ; il habitait là et avait un très beau jardin. Tout ce terrain a été vendu notamment à l'Innovation.
Nos grands-parents Dubost habitaient très près de chez nous, au 50, avenue des Arts, ou se trouvait le notariat. L'étude avait une belle clientèle, dans laquelle se trouvait le roi Léopold II, uniquement pour ses affaires privées. Bon-papa l'a donc bien connu et apprécié. J'allais souvent avenue des Arts, j'allais déjeuner là tous les jeudis, sans compter les parties de billard que j'allais jouer dès que j'y étais invitée par "Petit Bon", c'était en effet le surnom de mon grand-père. Nous allions aussi sur le balcon y assister aux revues et défilés militaires ou fêtes de mariages royaux. On était en première loge. J'étais très royaliste et j'étais folle du roi Léopold III et de la Reine Astrid. Chaque événement annoncé me voyait courir sur les trottoirs pour m'époumoner à crier "vive le Roi, vive les princes". Ils étaient si beaux. Papa et maman ayant été invités à une garden party au château de Laeken en 1939, j'ai tout simplement pris la place de maman qui n'avait aucune envie d'y aller. J'avais 17 ans et j'étais tellement fière. Grace à papa, nous avons encore été invites dans les années 50, Ignace et moi et nous nous sommes beaucoup réjouis d'accompagner papa aux serres de Laeken.
Rixensart
Nos grands-parents Dubost avaient une très belle propriété à Rixensart (Brabant Wallon). Ils en étaient fiers et l'avaient baptisée Bois-la-Haut, ils y invitaient toute leur famille à y passer l’été. II y avait nos parents Henri Le Clercq, ma mère Louise Dubost, leurs 6 filles et ma tante Gaby, mariée à Marc Didier avec leurs 4 enfants : Claude (1922) avait mon Age, puis Miette, Michele et Alain.
Plus l'oncle Paul Dubost (qui avait repris le notariat au début des années 20), tante Madeleine, dite Dédaine et tante Alice : ils n'étaient pas mariés et étaient très attaches à leurs 10 neveux. Cela faisait beaucoup de monde.
Maman avait de bonnes vacances à Rixensart. C'était Dédaine qui s'occupait du ménage et de toutes les charges d'une grande propriété. Le parc avait 9 hectares, bois, potager, verger, grandes pelouses. Bon-papa s'occupait seulement des comptes et de signer les chèques. Et notre chère bonne maman ne faisait rien, mais il faut dire qu'elle ne s'était jamais remise de la mort de sa fille Antoinette (20 ans) et en est restée dépressive.
Nos sports favoris: tennis, deck tennis, tom-thumb golf et principalement le croquet. Aussi grand que le tennis, il était toujours installé et tondu chaque semaine. Avec une tondeuse à main évidemment : les tondeuses à moteur n'existant pas. C'était rare les jours ou nous ne faisions pas du croquet entre nous ou avec bon-papa (je parle de 1930-39). Et aussi nous passions beaucoup de temps en vélo : dans le parc, le bois, les champs, et descente au village dont on connaissait tous les recoins (et surtout le marchand de glace et de boules).
Au bois, les chemins étaient bien entretenus et amusants : grâce à la fameuse grande descente on allait si vite qu'on remontait de l'autre côté avec notre élan, mais gare aux chutes.
II y avait aussi un verger plein de fruits, un potager où nous passions souvent chiper des framboises ou des groseilles à maquereau et ... l'une ou l'autre pêche ou du raisin: interdit évidemment.
Les arbres bas convenaient pour grimper et pour installer nos hamacs (Claude, Miette et moi). Près de la serre a raisins, il y avait la serre à fleurs. J'aimais l'odeur de cette serre ou le jardinier conservait les plantes d'hiver et arrosait ses semis et ses boutures. Peut-être est-ce de la que me vient ma passion du jardinage. Tante Madeleine téléphonait au chauffeur qui habitait à l'entrée du jardin et allait faire ses courses elle organisait souvent des visites chez des amis habitant dans les environs, et quand il y avait des jeunes de notre âge, nous étions invites et prenions raquettes et costumes de bain. D'ailleurs, chaque fois qu'il y avait une excursion, il y avait toujours place près des grands-parents pour 2 ou 3 petits sur les strapontins de la Packard.
Dédaine nous emmenait aussi au lac de Genval pour y canoter ou aller voir papa faire de l'équitation et même du jumping tout en haut de la colline, au manège Lagrange. On ne s'ennuyait jamais à Rixensart...
II y avait aussi le petit lac de Renipont dans les environs, peu fréquenté à cette époque, et surtout on allait à Lasne dans la belle propriété des Demeure où il y avait un étang .Ils nous accueillaient toujours si gentiment. Marcelle Demeure était charmante - c'était une amie de Dédaine - Moi, j'étais l'amie de sa fille Jacqueline: on jouait au tennis, croquet, etc. - et Madame Demeure qui adorait sa grande villa (elle avait 6 enfants) et surtout son jardin dont elle s'occupait beaucoup. Elle nous montrait avec fierté ses fleurs, fruits et légumes.
Un jour papa allait à cheval à Profondsart: 7 ou 8 km à travers champs, pour voir sa famille (papa louait un cheval pour un mois). Les pâturages et les champs s'étendaient à perte de vue. Tous les chemins étaient en terre, seule une petite route pavée à 3 km. Je l'accompagnais en vélo (j'avais 8 ans je crois). En cours de route, le cheval se cabre, peut-être à la vue d'un chariot tiré par un autre cheval ? Le cheval de papa commence à danser sur ses pattes arrière, et voilà notre père en l'air. J'ai eu la peur de ma vie: j’étais affolée: si papa s'est blessé dans sa chute, je reste seule avec cet énorme animal. Heureusement, papa c'est relevé et a maîtrisé sa jument. Et moi je disais entre 2 sanglots: ce n'est pas gai pour un jour de Pâques (phrase restée célèbre).
J’ai tant de souvenirs de Rixensart... Mais je dois me limiter. Tous les jours, maman faisait une promenade avec son père, avec qui elle avait un lien merveilleux. Je crois qu'elle était sa fille préférée, ce qui vaut toujours quelque jalousie. Par contre, notre mère n'était pas sportive et alors que papa aurait tant aimé qu'elle l'accompagne dans les nombreux voyages qu'il a entrepris et aussi à la chasse (courir tous azimuts dans les betteraves et les chaumes des champs de blé) dans les escalades et longues marches dans les Ardennes.
Tante Madeleine, toujours très active, très mondaine aussi, était l’ange gardien de ses parents et de toute la famille, et n'oubliait jamais de faire de grands bouquets de fleurs dont elle ramenait des brassées dans son grand panier. Le jardinier apportait quotidiennement fruits et légumes, et le boulanger, le pain : il faisait sa tournée avec sa charrette et son cheval. J'entends encore le bruit des roues, et des sabots du cheval sur les graviers. Nous accourions, non pour le pain, ni pour le boulanger, mais pour monter dans la charrette, et tenir les rênes jusqu'à l'entrée de la propriété, par le "grand chemin" de cendres bien tassées (200 m.) C'était très amusant.
L'été 1939 fut le dernier pour les habitants de Bois-là-Haut. En mai 1940, le château est occupé par des soldats anglais, puis français, plus tard il y a eu des colonies de vacances, des scouts, puis en 44, des civils réfugiés de bombardements les fameux missiles V1, puis V2 (plus puissants) firent beaucoup de dégâts et de victimes. Chez nous, s'installèrent des sans-abris, victimes des dégâts autour de la gare du Nord. Ils laissèrent derrière eux une maison fort abîmée qui fut à l'abandon jusqu'en 1947. Une gentille dame du village s'occupa de remettre de l'ordre et de nous prêter beaucoup de meubles et literies. Nous nous y installâmes en demi camping, grâce à Madame Neuray qui organisait tout et était très efficace et souriante.
Cet été fut inoubliable pour Ignace et moi. Nous préparions notre mariage pour le 11 septembre à l'église St.-Jacques, place royale, ma paroisse. Comme dans les meilleurs contes: ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
En 1948, on mit le château en vente et il fallut attendre des années avant de trouver un amateur, en l'occurrence une société pharmaceutique de Genval qui y installa des singes pour faire des vaccins contre la poliomyélite. La vie avait tellement changé, après la guerre, qu’aucune famille ne voulait habiter un château aussi grand. Le parc fut mis en lotissements. Maman reprit dans sa part les bâtiments à l'entrée : garages, écuries, maisons du chauffeur et du jardinier et mes parents firent transformer cela en une belle maison de vacances. Claudine la reprit à la succession en 1964, après la mort de papa.
Rixensart nous en rêvons tous encore, et je m'y promène à l'intérieur et à l'extérieur en rêve éveillé, comme si c'était encore habité, avec tous les personnages qui y ont vécu.
La guerre 40-44
Mes 4 beaux-frères étaient mobilisés depuis septembre 1939. Le 10 mai 40, les Allemands attaquent la Hollande et la Belgique. A 5 h. du matin Rotterdam était bombardé et détruit sans avertissement.
Après maintes discussions et hésitations, nos parents prennent la décision de partir vers la France. N'ayant comme schéma que la guerre de 14-18, ils pensent à une guerre de tranchées et ne veulent pas prendre le risque, en restant en Belgique, que mes 4 sœurs soient séparées de leurs maris : ils étaient officiers (2) et sous-officiers (2) et devaient se battre dans l'armée belge.
Et nous voilà en route le 14 mai. 19 personnes se répartissent dans 4 autos. II y avait Pierre (2 ans), Nadine (6 mois) et Bernard (18 mois) + le chauffeur et sa femme (qui sera notre cuisinière pendant les 2 mois et demi de notre séjour dans les Pyrénées).
Quitter Bruxelles et aller vers l'inconnu, cela veut dire fermer nos maisons à clef, et dans les meilleurs cas, y laisser une servante comme gardienne. Donc, abandonner nos maisons au vol, pillage ou qui sait ? Une grosse inquiétude ! Nous voilà partis sur les routes belges très encombrées, vers la Panne. Les civils partaient avec bagages, enfants, malades, dans des chariots, voitures à cheval, motos, bicyclettes avec remorques, voitures d'enfants ou brouette, enfin tout ce qui roulait. Les plus heureux avaient une auto, encore fallait-il trouver de l'essence. Toutes ces foules en fuite faisaient peine à voir. Fatigués, angoissés, les gens dormaient le long des routes et mangeaient quand ils trouvaient quelque chose à acheter. Désorganisation complète, cette évacuation était une longue file à l'infini, très vite repérée par les avions de la Luftwaffe et mitraillée par les redoutables stukas. Les gendarmes et les militaires nous faisaient faire des déviations vers des routes secondaires moins encombrées, bref nous n'avons pas été mitraillés et avons trouvé à nous nourrir, mais par contre, nous nous sommes perdus : l'auto de papa avec Monique et Alberte et les 3 enfants, et moi. Nous retrouvâmes les 3 autres autos à la mairie de Rouen (pleurs et joie) et on se donna rendez-vous à Limoges.
II n'y avait pas moyen de se suivre. De là, nous sommes repartis vers les Pyrénées à Luchon. Les Allemands avançaient à toute allure, et nous avions failli être pris dans la poche d'Abbeville dans la Somme et coincés entre l'armée allemande et l'armée française, dans les tirs et les bombes, aussi nous ne pensions qu'à descendre le plus bas possible en France.
Notre auto arriva à Lourdes le matin du 28 mai. La radio venait d’annoncer la capitulation du Roi des Belges, Léopold III, qui refusait d'exposer des milliers de soldats à la mort, alors que l'armée était encerclée par les Allemands et coincée le long de la côte. II a donc capitulé et a voulu rester en Belgique avec son peuple en se constituant prisonnier.
Le gouvernement belge n'étant pas de cet avis, rompit avec le Roi et partit immédiatement vers la France. Mais le matin du 28 mai, n'ayant pas de radio, nous n'avons aucune nouvelle depuis notre départ et étions très étonnés de voir un attroupement autour de notre auto à plaque rouge : les Français nous accueillaient avec des cris: sales Belges, votre roi a capitulé, l'armée belge cesse de se battre et lâche l'armée française - la honte ... et 21 jours plus tard, c'était à la France de capituler dans des conditions bien plus humiliantes.
Et nous qui allions gentiment prier à Lourdes, cela nous a foutu un de ces cafards dont on se souviendra.
Après 17 jours de voyage, nous arrivons à Bagnères de Luchon, à 3 km de la frontière espagnole. Joie des retrouvailles. Mon grand-père loue une grosse villa meublée où nous nous installons à 21 personnes. Le voyage s'est passé sans grosses difficultés. Luchon est une jolie ville de cure thermale qui eut un grand succès au début du siècle. Il y avait beaucoup de Belges parmi les réfugiés, tous très anxieux de leurs familles restées en Belgique, ou courant les routes de France. La plupart étaient sans argent. Et là, papa (53 ans) a trouvé à s'occuper en participant à l'organisation de la vie de tous ses compatriotes. Heureusement, car un homme comme lui, hyperactif, n'était plus à tenir s'il n'avait rien à faire. Mieux valait de ne pas être dans son chemin.
Nous ne devions pas nous occuper du ménage, et le ravitaillement se faisait assez facilement. Mana et Denise qui n'avaient pas encore d'enfant et moi (18 ans allions souvent à l'hôpital bourré de blessés de guerre ramenés à l'arrière. Nous aidions ici ou là, d'après les besoins : distribuer la correspondance ou des livres, donner à manger aux grands blessés, ou promener les aveugles ou les amputés et surtout bavarder et essayer de leur remonter le moral. Le pays était splendide mais on ne pouvait pas s’éloigner, à plus d' 1 km de la ville. Toutes les routes étaient barrées avec des postes militaires, vu que nous étions si près de l'Espagne et que c'était un endroit idéal pour les évasions. En particulier pour les jeunes Belges ou Français qui voulaient rejoindre l'Angleterre, ou la résistance s'organisait depuis le fameux appel à la radio, de Charles de Gaulle, à rejoindre Londres (18 juin 1940).
Insouciante comme on peut l’être 18 ans, et ignorant absolument ce qu'était une guerre et une occupation allemande, je pensais que dans quelques mois ce serait fini et qu'on reprendrait une vie normale. Je m'accommodais assez bien de cette vie à Luchon : c'était diffèrent, nouveau, distrayant. Mais pour mes sœurs, ce n'était pas pareil. Elles n'avaient pas de nouvelles de leurs maris, sauf Alberte, avertie par un ami venant de Belgique fin juin (?) que Guy, officier de réserve, s'était échappé d’une colonne d'officiers prenant le chemin de l'Allemagne, et était retourné à l’appartement rue de Naples, sain et sauf échappant ainsi au camp de prisonniers où tant de Belges ont passé de 1 à 6 années.
Alberte avec ses 2 enfants est rentrée la première. Les Didier n’avaient pas de nouvelles de leur père et de leur frère Claude, qui a voulu partir pour s’engager dans l’armée belge en France, mais il a été pris dans la bataille terrible de Dunkerque et a vécu une odyssée incroyable (18 ans)
Tous les habitants de la villa s’inquiétaient pour l’avenir de la Belgique, l'état des soldats et officiers et l'avenir du Roi. Nous nous demandions aussi dans quel état nous allions retrouver nos maisons et tout ce qu'elles contenaient. Enfin, vers la mi-août, on a recommence à délivrer de l’essence par très petites quantités (les moteurs de l’époque consommaient beaucoup). Nous nous sommes mis en route en faisant la file de pompe en pompe - 15 litres ici, 20 litres là - et après quelques jours, nous sommes arrivés à la zone de démarcation qui coupait la France a peu près en deux, ligne Est-ouest. En principe les Allemands occupaient la partie Nord de cette ligne + Belgique, Hollande, Danemark, Norvège et enfin toute l'Europe, mais ils ne sont jamais arrivés à gagner la campagne de Russie qui a été aussi catastrophique pour les Russes que pour les Allemands et fit des millions de victimes.
Le Sud de la ligne de démarcation était dite "zone libre" elle ne fut occupée par les Allemands que beaucoup plus tard. (fin 42?)
Depuis cette ligne où nous avons vu les premiers Allemands, nous allions les voir, omniprésents pendant 4 ans.
Les Belges survivront à beaucoup de difficultés - travail forcé: les travailleurs étaient réquisitionnés pour travailler dans les usines de guerre. Grandes difficultés pour l'alimentation, le chauffage, les vêtements, un tas de vexations. L'occultation de plus en plus sévère, cela veut dire que quand il faisait noir, les avions anglais ne pouvaient pas reconnaître les villes car toutes les fenêtres devaient être fermées avec des rideaux noirs ne laissant passer aucune lumière. Si on voyait de la lumière, les Allemands sonnaient pour avertir et en cas de récidive, c'était le questionnement à la Kommandantur.
Comme dans toutes les périodes de grandes difficultés il y en a qui survivent, et même qui s'enrichissent en se procurant des marchandises introuvables dans le commerce et en les revendant au "Marché noir à un prix exorbitant, surtout pour les gens à petits revenus. Malgré les dangers et les risques d'être pris par la police, les contrôleurs qui fouillaient les bagages ou même par la gestapo (police secrète allemande), le marché noir florissait.
C'était gênant de penser que les plus pauvres avaient faim et froid, mais heureusement il s'est mis en place beaucoup d'œuvres publiques (secours d'hiver, etc.) et privées, pour les aider (soupes populaires et tickets supplémentaires de rationnement).
Il y eu aussi un petit miracle : en 1943, d’énormes bancs de harengs se trouvent le long de la côte belge, et nos pêcheurs en ramenèrent une telle quantité qu'on pouvait les vendre à la population, sans timbre.
Le rationnement en effet se met en place dès le début de la guerre et chaque habitant recevait une feuille de bons des principales denrées alimentaires, qu'il était impossible d'acheter sans timbres; les rations mensuelles étaient très petites : 175 gr de pain par jour, 100 gr de sucre par mois, 100 gr. de confiture, 150 gr de margarine etc. Et tout dans ces proportions. Le lait seulement pour les enfants, ainsi que de la laine pour leur tricoter des pulls et un peu de tissu pour faire des langes (les pampers n'existaient pas). Le chocolat, le café et d'autres denrées rares, on n’en a pas eu pendant 5 ans. Les magasins étaient très peu remplis, et dès qu'on voyait une file, on se précipitait, car il y avait un arrivage de quelque chose d'intéressant. Et on attendait parfois 1 ou 2 heures...
Tout cela pour dire que, grâce aux harengs, on a vu en quelques mois, les gens reprendre un peu du poids qu'ils avaient perdu à cause du manque de nourriture et des privations de matières grasses.
Le général van Falkenhausen, gouverneur militaire de la Belgique, Ardennes et Lorraine, était un homme modéré. Je pense que dans d'autres pays, l'occupation allemande a été plus dure.
A Bruxelles, il y avait beaucoup de militaires allemands, femmes et hommes, et des uniformes verts en majorité (l'armée) puis gris et noirs (les SS ou police spéciale dont tout le monde avait la frousse) et les hommes du parti nazi.
Tout ce qui roulait comme auto ou camion était de l'armée allemande ou avait une carte spéciale comme service public : par exemple médecins, ambulances, ravitaillement autorisé avec contrôle très sévère évidemment.
Plus la guerre avançait, plus les soldats étaient jeunes (17 ans??) Ils remplaçaient leurs aînés blessés ou tués au front.
Les Allemands étaient extrêmement durs et cruels vis à vis des différents groupes de résistance : armée secrète, rapatriement d'aviateurs anglais. Si un membre était pris, il était interrogé par la Gestapo et torturé jusqu'à ce qu'il donne le nom de ses camarades et tous les détails sur l'organisation de son groupe. Puis, c'était la prison et l'envoi dans l'un ou l’autre de ces horribles camps de déportés.
Dans l'ensemble, cependant l'armée d'occupation était disciplinée et obéissait aux ordres reçus par leurs supérieurs. Les Allemands avaient d'énormes besoins pour continuer les offensives, réparer les dégâts faits par les bombardements et entretenir leurs armées et leurs armes. Pour y arriver, ils prélevaient nourritures, matériel de toutes sortes et main-d’œuvre dans les pays qu'ils occupaient. II y avait donc pénuries dans tous les domaines : la plus grande part de la production partait pour l'Allemagne.
Les Belges n'avaient que les nouvelles de la guerre publiées dans les journaux et revues allemandes, et la radio qui nous serinait à longueur de journées des histoires sur le grand REICH, ses victoires et sa toute-puissance. Cela ne nous intéressait pas, nous n'écoutions plus leurs chants de gloire et nous voulions une chose : que les Anglais et plus tard les Américains viennent nous délivrer. Papa écoutait tous les soirs la radio de Londres, émission toute parasitée par des bruits divers (faits par les allemands) et difficile à comprendre. En plus, c'était strictement interdit d'écouter Londres. Si on était dénoncé par un voisin, c'était des ennuis avec la police allemande ou la prison.
Ainsi nous étions tenus au courant du débarquement en Afrique du Nord ; puis en Italie : les terribles combats a Monte Cassino. Malgré toutes les inquiétudes et espoirs successifs, nous étions soutenus par un vif désir d'être délivrés au plus vite et que la vie libre renaisse.
Le jour est enfin arrive, de la libération de Bruxelles et de l'entrée dans la ville de la Brigade Piron, formée par les Belges ayant rejoint Londres, et le général Piron à la tête de son régiment. Acclamations folles des Bruxellois : ils sont là ! Les Américains, Anglais, Canadiens défilaient dans la ville. Les femmes et les enfants montaient sur les chars pour les embrasser. C'était la liesse populaire.
Mais toutes les souffrances et les combats des Allies ne sont pas terminés. La guerre continue sur plusieurs fronts. Les bombardements sur l'Allemagne se multiplient, des villes entières sont réduites à des tas de briques, de béton et de ferrailles. Pauvres populations, comme elles ont souffert. Puis il y a eu l'offensive van Rundstedt, dans les Ardennes. Les Allemands font un suprême effort pour reconquérir la Belgique. Bataille extrêmement dure, décembre 44 — février 45. Beaucoup de villages détruits et de victimes civiles et militaires.
Et enfin, en mai 45, la victoire définitive et la capitulation de l'Allemagne.
Mon vécu pendant ces 4 ans 1/2 de guerre
Nous sommes rentrés des Pyrénées dès que nous avons pu acheter de l'essence. Vers le 20 août, nous nous sommes mis en route (4 autos). Les routes de ce temps-là n'étaient pas rapides. Nous avons mis près d'une semaine pour rentrer Bruxelles. Nous craignons de voir les premiers Allemands à la ligne de démarcation, mais cela s'est bien passé. Nous ignorions que cette guerre durerait 4 ans, même 5 ans si on compte la reddition du Japon (capitulation de l'Allemagne le 8 avril 1945, reddition du Japon le 15 août 1945).
A Bruxelles, nous avons eu la joie de revoir notre ville et nos maisons, toutes intactes. Pas de pillage, pas de dégâts. La ville avait un aspect discipliné. L’autorité allemande se faisait sentir, et il fallait obéir à ses ordres, dans tous les domaines, et le plus souvent exécutés par les autorités belges. Les ministres belges étant à Londres, ce sont les secrétaires généraux des ministères qui ont pris le relais. Ils ont fait de leur mieux pour gouverner le pays avec leurs administrations, dans la limite de leur liberté (les Allemands contrôlaient tout). Au cours de la guerre, les difficultés alimentaires, de produits de base, chauffage, vêtements et autres, devinrent de plus en plus grandes et la population en a beaucoup souffert. Mais le plus dur fût le travail obligatoire pour des dizaines de milliers d'hommes envoyés en Allemagne pour travailler dans les usines de guerre, et aussi tant de soldats prisonniers. Tous ces hommes laissaient leurs familles sans ressources.
L'inquiétude était grande. La population étant de plus en plus sous-alimentée et mal chauffée, il y eut beaucoup de malades, des vieux dans la misère, des enfants maigres, rachitiques. La tuberculose augmenta fortement ainsi que d'autres maladies pour lesquelles il manquait de médicaments appropriés. Il aurait fallu plus d'hôpitaux, plus de sanatoriums et surtout une nourriture plus abondante, impossible à trouver.
En septembre 40, la vie reprit son cours. Je m'inscrivis à plusieurs cours de culture générale, participais à un ouvroir pour soldats prisonniers (tricots, chaussettes, etc.) et m'inscrivis à la paroisse St. Boniface comme membre de l’Action Catholique des milieux indépendants. C'était la J.I.C.F. Il existait aussi la JOLF, Jeunesse Ouvrière, la JECF ou Jeunesse estudiantine, la JACF ou Jeunesse agricole et JUCF ou Jeunesse universitaire, le F. final étant féminine. Les 5 branches existaient évidemment pour les garçons. Ces mouvements de jeunesse étaient l'œuvre du Chanoine Cardijn, très connu en Belgique et à l'étranger.
En 1940, il n'y avait aucune école ou mouvement de jeunesse mixte. Dans les églises, les femmes se mettaient à gauche, les hommes à droite, surtout dans les villages. Ce n'était pas encore le temps des remises en question et des grands bouleversements Il y avait beaucoup de prêtres et de religieuses en Belgique et ils mirent souvent en place des œuvres d'aide aux plus pauvres. Les couvents pensionnats cachèrent de nombreux enfants juifs pour les empêcher de partir aux camps de concentration. Ils ont pris d'énormes risques en le faisant
L'action catholique m'a tout de suite intéressée. J'étais assidue aux réunions, cercles d'étude et autres activités. Un an après (1941) j'acceptais de devenir chef de section du groupe de St-Boniface : plus ou moins 30 jeunes filles. Les réunions d'équipe se tenaient dans nos maisons. J'ai trouvé là de très belles amitiés. Nous suivions les programmes reçus du Centre national. Une des activités qui me tenait le plus à cœur, était d'essayer de convaincre les commerçants, très nombreux dans la paroisse : rue de la Paix, chaussée de Wavre, chaussée d'Ixelles, tout le quartier de la porte de Namur. Nous allions par équipe de 2, et leur demandons de mettre une crèche dans leurs étalages pour souligner le caractère chrétien de la fête de Noel. C'était nouveau, car à cette époque, on ne voyait que des Pères Noel, folklore païen. Les marchandises disponibles pendant la guerre étant rares et de très mauvaise qualité, on nous répondait souvent : nous n'allons pas gâcher nos étalages avec une horrible petite crèche de plâtre. Que faire?
Désespérées de ces refus, nous nous sommes mises à essayer de faire des personnages de crèche nous-même, en terre argileuse. Certaines étaient douées, d'autres moins. Mais toutes étaient très fières de leur œuvre, même si après 2 heures de travail, il n'y avait pas moyen de voir s'il s'agissait de St. Joseph, de Jésus, ou d'un mouton !
Plusieurs, à force d'exercice et de persévérance sont arrivées à un résultat. Apres cela il fallait porter toutes les pièces dans un four a poterie situé de l'autre côté de Bruxelles ; lourdes valises à trimbaler en tram, et gare à la casse... Mais quelle joie lorsque nous voyons nos œuvres dans les étalages du quartier ! II y a même eu des gens qui voulaient en acheter. Mais nous voulions absolument refaire l'épuisante tournée après la Noël pour ramener notre précieux stock pour l'an prochain.
Je me suis fait beaucoup d'amies dans l'action catholique. J'ai participé à des journées d’étude, et réunions de toutes sortes au niveau national, et au niveau de notre section St-Boniface. Nous avons aussi organisé, au cours de l'été 42 et 43, un camp dans un gîte d'étape à Vresse sur Semois.
J'ai aussi fait un grand tour des Ardennes en vélo, avec une amie. Un vélo qui tenait à peine ensemble, avec ses vieux pneus réparés qui crevaient souvent. Nous avions fait l’aller et le retour en train jusqu'à Liège. J'avais acheté un très beau vélo juste avant la guerre, mais malheureusement, il a été vole à Bruxelles. Tout se volait et se revendait à prix d'or.
En 1942, j'ai commencé des études de soigneuse (aide-infirmière) en 15 mois, à la clinique du Sacré Cœur à la Faisanderie (Woluwe). J'ai beaucoup aimé cela. Etudes assez faciles, et beaucoup de stages, on était un bon groupe et j'ai gardé contact avec plusieurs amies.
La clinique accueillait les malades du sanatorium de Bredene, près d'Ostende, qui avait été évacués par les Allemands ainsi que la plupart des habitants du littoral, devenu un territoire militaire, plein de bunkers, de canons anti-aérien et anti-char, et faisait partie du mur de l'Atlantique qui s'étendait sur des centaines de kilomètres.
Donc, on transporta tous ces tuberculeux osseux A Bruxelles, et ils s'y trouvèrent bien, juste en lisière de la forêt. Ils étaient répartis sur 3 étages : 1er, les hommes, deuxième, les femmes et troisième, les enfants. Nous y avons toutes fait des stages. On y traitait les malades avec les médicaments de l'époque, difficiles à se procurer. La pénicilline et les antibiotiques n'existaient pas encore. Souvent, le docteur Blaukoff et son équipe faisaient des opérations chirurgicales. La malnutrition de ces années de guerre aggravait l'état de malades. Nous avions de la compassion pour tous et surtout pour les gosses si déformés par les multiples formes de cette tuberculose osseuse.
Les autres stages dans les hôpitaux ou à la croix jaune et blanche qui envoyait les infirmières pour des soins à domicile, m'ont permis de voir la vie réelle des Belges et m'ont aidée à faire face à beaucoup de situations.
L'année 43, j'entre à l’Ecole Sociale de la rue de la Poste, près de l'église Ste-Marie (rue Royale) à Bruxelles. La première année, 34 à 36 h. de cours par semaine. C'était lourd. La deuxième année, des stages variés, plus 3 mois de cours. La troisième année, rien que des stages. J'ai travaillé environ 6 mois à l'Entraide des Travailleuses, rue des Tanneurs à Bruxelles. Tous les jours, tram 20 ou 22 jusqu'à la place du jeu de balles, rue Haute. J'ai beaucoup apprécie ce stage. Démarches de tout genre pour venir en aide à la population du quartier des marolles que je trouvais sympathique et courageuse, malgré la vie si difficile pour les démunis : gens affaiblis, mal nourris, misères de tout genre en cette année 44.
La formation de ces années de guerre m'a beaucoup marquée et je n'ai jamais regretté d'avoir fait ce genre d'études.
J'étais fière de mes diplômes mais je n'ai jamais eu de vie professionnelle.
En effet, Ignace a eu l'excellente idée de me demander en mariage, sur le pas de la porte de notre maison, après avoir fait 3 fois le tour du square de Meeus et être revenus à pied du bois de la Cambre. C'était le 2 juillet 1946, A 1 heure du matin. Et le lendemain, je devais défendre ma thèse à l’Ecole Sociale. J'étais fort troublée, mais j'ai quand même eu mon diplôme.
Et avec cela, une autre histoire commence et elle n'est pas encore terminée.
Vive la vie !
Nicole
Guerre de Quatorze (Denise)
Mon père, son frère, et son beau-frère se sont portés volontaires en 1914. Les deux derniers ont fait les quatre années sans être blessés, papa a été désigné pour les tranchées de l'Yser, a pataugé dans la boue jour et nuit, et a été touché par un Allemand qui tirait à bout portant.
Là, il s'est affaissé, un voisin l'a mené vers l'infirmerie de campagne, où il a tenu des heures, sa main déchiquetée avant d'être soigné (les soldats tombaient comme des mouches). Enfin accueilli à l'hôpital militaire, il y a subi plusieurs interventions chirurgicales, puis, presque rétabli, a essayé de retrouver ma mère et ses filles, presque trois...
Ensuite il a pu rejoindre le gouvernement au Havre et est devenu chef de cabinet de l'un des ministres. Il s'installait à Sainte-Adresse, dans la rue Désirée Dehors.
Il a fallu beaucoup de volonté à papa pour travailler, pour retrouver son équilibre physique et moral. Ce grand sportif souffrait.
La vie a repris son cours, avec l'aide de Germaine, une femme supérieure, adorant les enfants qui, à ma naissance, a été seule à m'ouvrir les bras. Les parents ayant juré que sans elle, on m'aurait noyée (la 4ième fille).
En 18, le retour à Bruxelles a été assez heureux, si ce n'est la perte de Germaine, mariée à un gazé et ne vivant que pour lui.
De chagrin, maman a eu une fausse couche, ce ne sera pas la dernière. Très fragile du foie elle souhaitait rencontrer un confesseur qui l'autoriserait à se refuser à son mari, trop gourmand, trop sensuel.
J'ai souvenir d’une maman triste, ne lisant pas, n'aimant pas la poésie, la peinture, la sculpture, la musique, montant et descendant square de Meeus essayant de se fixer, la couture ne la comblait pas, les enfants non plus.
Papa, lui, entrait dans les rails de sa destinée. Avocat, il décida de plaider bénévolement pour tous les pauvres mutilés de la guerre. L'état refusant tout aide, ils étaient dans la misère.
A l'image des "petites filles modèles" Mono, tu es un bébé tout en sourires, en gazouillis. L'ange de Rixensart, la joie de tous, jusqu'à l’arrivée des casques à pointes.
Dès lors ta vie est bouleversée : agitation, bagages. Papa est blessé à l'Yser, envoyé dans un hôpital anglais puis français. A la fin, il vous retrouve à Sainte-Adresse, où joyeuse tu attends de voir repousser la main disparue. Tu fais tes premiers pas avec lui et l’oncle Popol, le courageux aviateur, qui vous fait sauter en l'air puis vous écoute chanter Mana et toi, et danser aussi.
La famine s'agrandit : encore des files. Tu les berces.
En 18 retour à Bois-là-Haut. Radieuses vous retrouvez poupées, voiture, âne, fraises ... et surtout l'adorable bon papa qui escorte notre enfance de toute sa tendresse.
A Bruxelles, chez nous, après ta première communion ta vie devient sérieuse, tu revêts l’uniforme au col marin des collégiennes de la "Sainte Famille". La discipline est stricte, tu écoutes, tu écris, t’appliques et deviens une battante.
Un soir, à Noel après une fête costumée, tu fais une chute : épanchement de synovie. On parle clinique. Que ferons-nous sans notre Mono? Notre boute-en-train ? Notre état tampon ? Le médecin recommande le repos, allongée au salon, et l’oisiveté. Après la classe, nous nous précipitons vers toi : éclopée, intrépide, tu te découvres des dons de styliste, tu crées des robes, puis composes une pièce de théâtre, un ballet, même un dialogue imaginaire entre la bonne tante Madeleine et sa modiste qui veut l’affubler d'un grand chapeau noisette surmonté d'un oiseau de Paradis. Que de souvenirs !
Apres tes études secondaires, tu passes deux ans chez les Augustines à Bruges. On va souvent te voir. Ton regard brille. Tu te passionnes pour l’anglais, tu es première. Pieuse, tu pries bien : les religieuses te chérissent au point de vouloir faire de toi une nonnette !
Nous protestons : que serait la maison sans toi, Momo ? Tu extrais le meilleur de nous-mêmes.
Tu as la volonté de te surpasser.
Irrésistible, ton sourire légendaire.
Ta récompense : tu verras Paris, Florence ; plus tard la Yungfrau sous le soleil.
A ton retour on t’écoute parler des rois de Versailles, des peintres de la Renaissance, de l’empire romain
A présent, tu as les cheveux courts, les idées longues. Du pinceau et de l’aiguille tu es une artiste. Le soir, tu nous joues du Chopin.
Déjà on prépare ton premier bal. En faille bleu azur, tu danses dans les bras des frères Crayencour, excellents valseurs.
A peine les Belges jouissaient-ils de la paix, que la grippe espagnole a fait des ravages en Europe. Tante Antoinette, la plus jeune fille de bon papa Dubost, douce, sage, bonne a eu la grippe espagnole suivie d'une tuberculose, maladie dramatique de l'époque. Elle a fait des séjours de plusieurs mois en sanatorium en Suisse, accompagnée de sa mère. Elle est morte à Saint-Moritz en 1920. Elle avait 20 ans. Bonne-maman n'a plus jamais souri depuis. Elle est restée triste et dépressive.
Au lieu de se rapprocher, les membres de la famille se sont séparés davantage. J'ai souvenir de disputes horribles. Seul Petit Bon (bon-papa) conservait calme et sérénité.
Nous avons vécu dans une ambiance de névrosés. Ma sœur Monique a hérité de cet état dépressif.
Pour ma part, toute petite, je m'efforçais d'aider papa, de lui couper sa viande, de lacer ses chaussures, d'ouvrir sa bouteille de bière.
Sensible à la douleur des autres, je m'efforçais aussi d'entourer maman de tendresse, d'attentions, mes tantes également, mais sans succès.
La guerre de Quarante (Denise)
Après 18 jours de combat l'armée belge s'est rendue, incapable d'affronter davantage la fabuleuse armada allemande. Envoyés en Allemagne dans des camps, les réservistes sont revenus après trois ou six mois, l'active, après 4 années.
Les gendres de mes parents sont revenus sains et saufs, ravis. Trois ont repris leur travail, mon mari a déclaré ne pouvoir supporter l'occupation barbare, a décidé d'être le héros aventurier. Entré dans un réseau crée par son frère ainé (qui en est mort) il a libéré des anglais, puis a cherché à retrouver la liberté à Londres.
Toute jeune mariée, j'ai vécu en veuve plus de deux ans avec un bébé toujours malade, ne supportant pas ce régime alimentaire atroce.
Tout ce temps je n'ai eu que deux visiteurs réguliers le Petit Bon (bon-papa) et Nicole, tous deux délicats et charmants. J'aurais voulu entreprendre les études sociales comme ma sœur, mais j'étais enchainée à cet adorable poupon.
Dès lors elle venait me voir, dialoguer, me prêter des livres sérieux dont j'avais grand besoin pour mûrir et faire face à un après-guerre avec un mari redevenu célibataire et mondain.
Papa ne supportait pas les êtres maniérés, Albert l'était croyait-il. Il mourra sur la paille, et ne sera jamais directeur du Commerce Extérieur, disait-il, comme tu le laissais prévoir, le travail est le cadet de ses soucis.
Au lieu de cet espoir, il a vécu dix années de chômage, pauvre Albert !, qui cherchait le bonheur dans le champagne et le plaisir.
D'après Guy Mourlon, il a voulu prolonger les deux ou trois ans de vacances à Londres.
Anecdotes (Denise)
Installés à Luchon avec toute la famille, nous n'avions pas de nouvelles des guerriers, c'était dur; on pleurait parfois. Claudine, neuf ans à peine s'étonnait et se délectait du voyage.
"Pourquoi pleurer, disait-elle, c'est si gai la guerre !"
Tantes Alice, Madeleine, Gaby soignaient leur santé (bains de boue, spécialité de Luchon). Elles regrettaient le personnel, le luxe de Bois-là-Haut et de l'avenue des Arts. Papa, vaillant travailleur, ne les appréciait pas du tout, leur luxe les obsédait.
"La sagesse, disait-il, ne vient pas nécessairement avec l’âge, il arrive que l’age vienne tout seul ! "
Lorsqu’Ivan marchait et parlait, je le conduisais chez le pauvre Emile, époux de notre gouvernante Germaine, tous deux installés à la "maison des invalides" fondée par mon père. Voyant le blessé inerte, il dit tout bas : "Comment il a fait Emile pour passer vingt ans sans changer de pyjama ?"
Une fois, mon diplôme de professeur de français de la Sorbonne en poche, j'ai insisté auprès de ma mère pour venir me voir au haut de ma chaire, devant 30 étrangers de tout âge. Ma mère a refusé, c'était trop loin. "C'était à la porte de Namur."
Maman avait une passion pour Ivan, qu'elle disait être le plus beau de ses petits-enfants, tout blond et rose. Plusieurs fois je lui ai amené Fabienne et Olivier. Elle leur a donné des bonbons et les a renvoyés :
"J'ai trop de choses à faire !!"
Petit-bon (Denise)
Nous avons deux familles : celle de Rixensart, celle de Profondsart. A Rixensart c'était bon papa de Bois-là-Haut, dit "petit bon", qui en était l’âme. L'enchanteur épanoui de sourires, d'encouragements, jamais fâché.
II nous aidait à mûrir, à aimer dans une ambiance de discussions. Il était merveilleux, avait la sagesse de ceux qui se consacrent à autrui, la santé de ceux qu'aucun médicament n'a souillée. Il s'est éteint comme la flamme, et comme la flamme réchauffait tout son entourage, le mettait en valeur.
Né en 1855, il a été orphelin jeune, mais adorait sa mère et sa sœur. Ce trio harmonieux jouait de la musique tous les soirs ou lisait les philosophes, la vie des saints.
Après le Droit, il est devenu notaire des rois et conseiller aussi, car, disait-il, Léopold II, géant et génie, lui paraissait inhumain. Mauvais mari, mauvais père, s'acharnait à déshériter ses trois filles ... qui se confiaient à mon grand-père, leur grand ami, spiritualisé et bon.
Pour être plus près des rois, il a déménagé de la rue Neuve où il avait un bel hôtel, à l'avenue des Arts, le quartier de l’élite, et est devenu sénateur.
II y a élevé ses six enfants puis a rêvé de construire sur les terres que vendait le prince de Mérode, une vaste demeure, pavillon français XVIII, sur la hauteur de Rixensart. Terminé en 1910, il s'y est installé six mois par an et faisait la navette en train.
II était né pour la joie, la paix et n'a connu chez les rois et chez lui que cris et larmes. Nous le consolions.
Bonne maman a passé dans nos vies comme une ombre, l'oncle Paul comme un héros de 14, mais si effacé, si dépressif comme ses sœurs.
Mes parents très bons, étaient très absorbés par les invalides de guerre, papa surtout, et nous consacraient peu de temps, peu de tendresse; ils étaient brusques. Tous deux refusaient la vie de famille.
Les anecdotes
Le catalpa devant le perron était si beau, j'avais décidé que là naîtrait Claudine... On la chérissait, gentille, spontanée, elle faisait la joie des cinq grandes sœurs... A Bois-là-Haut nous vivions environ à 46... avec une seule salle de bain et la pauvre grand-mère (inconsolable de la mort de sa fille Antoinette), nous recommandait de dépenser le moins d'eau possible !
A cote de la cuisine il y avait une adolescente "fille de quartier" qui plongeait dans les vaisselles 10 h par jour. Pour plaire à "petit bon", je lui apportais mon gâteau parfois : elle me jeta de l'eau à la tête, furieuse car moi, j'avais château et grand-père, elle rien, personne.
Avais-je six ans? Peut-être. J'étais certaine que tous les bons papas avaient un château pour leurs petits enfants et le lui dis naïvement.
Oh la la !! Tollé général, punition. Seul bon papa m'apaisa, m'embrassa. Ma mère, sainte, ne comprenait pas les enfants... un soir d'ailleurs refusant de manger des chicons brûlés, elle m'envoya dans la cave. A 5 ans, je hurlais, ma peur était atroce. Après une heure, Mana est venue me libérer disant : Denise, que t’ont-ils fait les rats?!
Ma sœur Nicole était ma sœur préférée car elle avait hérité (seule) de ce tempérament calme, modéré, peu agressif de bon papa. Elle était souvent seule, adorait la nature, les plantes, jouait dans la serre, plantait, déplantait, replantait, allait voir le verger superbe ou le potager où poussaient carottes, salades, artichauts... Nous préférions rouler à bicyclette, jouer au tennis, au croquet, au deck-tennis... ou inviter des amies, ou cueillir mille fraises des bois pour bon papa.
Observatrice, Nicole, un soir à table s'adressa à Adolphe, le maitre d'hôtel, et lui dit : "Comment tu manges toi, avec ta une dent ?? !!
Notre famille de Profondsart était toute différente (moins de raffinement, moins de décorum) Le grand-père Le Clercq n'avait que deux passions : le travail et la Vierge. II allait tous les jours à la messe dans la chapelle construite par lui (près du couvent et de l'école). Il était très bon mais trop austère, insistait afin que nous allions à la messe davantage; il avait trois enfants du second mariage : Charles, Paul, Jeanne, du premier manage avec ma grand-mère, il n'avait que Henry, mon père et oncle Jean. Orphelins jeunes,ils ne purent supporter leur belle-mère.
Leur maison villa nous semblait horrible, style 1880, en pierre rouge foncée avec une immense statue de la Vierge sur la façade. Bon papa a installé cette villa à deux pas de la voie ferrée, certain qu'il n'y aurait jamais plus de deux trains par jour !! Dans son jardin ne poussaient que les asperges. Nous y allions peu, pour nager dans la piscine seulement.
Bon papa était un homme brillant, excellent avocat, bâtonnier des avocats de la cour de cassation à la fin de sa vie.
Nos deux familles ne s'entendaient guère, se réunissaient une fois l'été. L'hiver on se voyait davantage rue d'Arlon, où il avait sa maison (Rixensart snobait Profondsart).
Nous avions un peu peur de lui. Il disait des choses incompréhensibles pour des enfants : « Connais-toi toi-même » J’ai acquis la paix de l'une bonheur suprême ici bas"..."Denise devrait enseigner les prières à Nicole, c’est son devoir "..."Je voudrais savoir ce qu'elle pense de la Vierge".
II était trop grand et si distant. Chez nous au square de Mééus cette famille-là venait très peu.
Notre terreur à Profondsart c'était l'oncle Charles, toujours froid, agressif, voulait nous stimuler, nous élever à sa manière, en nous humiliant, nous forçant faire de choses pénibles comme nettoyer les voitures et les chiens. Furieux de réaliser qu'à Bois-là-Haut nous étions élevées comme des princesses, hélas.
Maman était mal à l'aise à Profondsart : un jour dans l'allée qui menait à la chapelle, je l'ai interrogée : pourquoi avait-elle tant d'enfants? ---Si tu crois que c'est pour m'amuser, répondit-elle du tac au tac. Horreur! On ne pouvait donc pas avoir les enfants que l’on voulait mais que le mari imposait. Cela a été ma première déception.
Un jour de juillet, mon cher "petit bon" était venu prendre le thé à Profondsart. Nous étions tous assis : à ma place une jolie carte cadeau. Je l'écrivais à ma grande amie Bauchau et y mis quelques fautes. Le maître de Rixensart bien sur remarqua les erreurs, ne fit aucune réflexion, mais au retour à Bois-là-Haut, il m'amena dans son bureau, décida tous les matins de faire une dictée pour m'améliorer. On me plaignait, surtout mes sœurs ainées, mais j'étais enchantée, privilégiée, seule dans le saint des saints avec lui.
J'avais 12 ans, et me délectais "des lettres de mon moulin" mettant des "q" pour Cucugnan ... et faisant tout à l’ envers. Il m'aimait quand même.
Après des années de dictées, ce délicieux Daudet et mon adorable bon papa me donnèrent le goût d'écrire, qui devint même une petite passion.
Mes deux grands-pères écrivaient fort bien, dans la Revue spécialisée et aussi dans la "Revue des deux Mondes". Ils espéraient que j'allais les imiter. J'ai écrit 200 articles environ dans d'autres revues. Ils auraient été contents, contents aussi de mon amour pour mes enfants.
Souvenirs de Rixensart (Claudine)
En cette belle et fameuse année 1900, commença la construction du château appelé "Bois-là-Haut" car planté sur la hauteur dominant le village de Rixensart. Cette propriété appartenait à notre grand-père Edouard baron Dubost (1855-1945). Style mansart, briques roses, pierre de France et ardoises, 7 ha clôturés et magnifiquement arborés (les arbres étant offerts par le roi Léopold Il, dont le grand-père était le notaire et ami, et qui l'avait fait baron en 1920. Toute la famille s'y installa : le père, la mère (Jeanne Eliat +1938) et les six enfants (Alice, Paul, Louise (notre mère), Madeleine, Gabrielle et Antoinette, morte à 20 ans de la grippe espagnole). Ils y mènent une vie joyeuse et gâtée.
La vie au château de Bois-là-Haut avant-guerre était merveilleuse: une vie de rêve avec le plus grand luxe: un domestique et 9 servantes y dorlotaient chacun.
Grands déjeuners, fêtes superbes, garden-parties, grands jeux de croquet et de mah-jong...
Caractère de Louise
Claudine parle: Elle était une femme très énergique qui passait, à la fin de sa vie, son temps à la fois rue de Naples et à la fois au service des autres et après la mort de son père en 1945 elle fut très confite en dévotion sans exagération. Elle adorait ses petits enfants avec ses préférences - ceux qu'elle voyait souvent tenaient une place plus proche dans son cœur.
Louise épousera en 1910 Henri Le Clercq, jeune avocat et ils auront 6 filles en 18 ans de temps. Henri à 16 ans était entré en philo à St-Louis en chapeau boule et jaquette (c'était la mode à l'époque). Il avait un ami et cousin Paul Hemeleers qui l'accompagnait partout en faisant des farces.
Un jour par exemple il avait fait basculer les chevaux conduisant le tram. Il avait poussé tous les étudiants à se mettre à l'arrière du tram-charrette et celui-ci avait aussitôt relevé ses roues avant, soulevant l'arrière-train des chevaux aux grands fous rires de tous.
Continuant ses études de droit avec grand brio. Toujours la plus grande distinction (moyenne de 18 sur 20). Un jour n'ayant eu que la grande distinction en juillet, il repassa le cours, de droit pénal en septembre afin de remonter sa cote. Son père trouvait normal qu'il réussisse toujours si bien, tandis que son frère Jean passait avec difficulté. Celui-ci, une fois par hasard reçut le grade de distinction, le père en fit toute une fête.
Quand mes parents (c'est Claudine qui parle) visitèrent le Vésuve en voyage de noces, ma mère avait entendu parler de la maffia, dont les hommes avaient sur leur main un tatouage d'une main noire. Le matin de la montée au cratère elle vit une main pareille sur le guide et s'enfuit aussitôt se réfugier auprès d'un touriste là par hasard. Il faut dire que maman n'avait que 18 ans!
En rentrant de ce voyage elle se remit à jouer du violon qu'elle adorait. C'était son passe-temps favori. Mais papa n'ayant pas l'oreille musicale, lui décréta un beau matin: "J'espère que maintenant que tu es mariée, tu vas arrêter de jouer 'cette vieille crécelle' ". Maman fut terriblement déçue et choquée, mais n'en joua jamais plus.
Caractère de papa
Henri Le Clercq qui n'avait pas fait son service (tirage au sort à l'époque) s'est engagé immédiatement à la guerre de 1914. Ayant bien servi son pays il fut blessé le 22 octobre1914 en perdant sa main gauche. Sa femme Louise a toujours gardé son uniforme bleu marine aux bords rouges avec la déchirure de la belle et le sang.
II passa en Angleterre, de la Panne où il avait atterri. Il y resta 1 an et Louise vient le rejoindre avec les 2 petites filles Monique et Mana, en traversant la Hollande, pays resté libre à l'époque. Après ils séjournèrent 3 ans au Havre où il fut secrétaire du ministre Berreger (le gouvernement était installé là-bas en France libre).
Henri avait une belle personnalité - consciencieux, travailleur, patriote enthousiaste, il était malgré son handicap toujours joyeux et plein d'humour. II traverse sa vie avec beaucoup de dynamisme. Avocat, il adorait son travail, restant souvent le soir tard à son bureau.
II adorait les voyages, un des premiers à aller en Russie, il parcourut aussi le Maroc, la Palestine, les Etats-Unis et plusieurs fois par an il allait à travers toute l'Europe.
II avait appris (rare en ce temps-là) le flamand et l'anglais (à Londres). Il fut nommé après 1918 président des invalides de guerre aux côtés de la Princesse Jean de Mérode. Il s'y dévoua près de 50 années. Des week-ends entiers il allait de ville en ville, de village en village inaugurer des statues, visiter les groupes, faire des "speeches" dans les 2 langues.
La famille
Tour à tour se marièrent les 4 sœurs ainées, avenue des Arts chez leurs grands-parents Dubost.
L'été se passait à Rixensart où tous les jeunes s'entendaient fort bien et s'amusaient dans le grand parc, jouant au tennis, au croquet, au mah-jong le soir. La tante Alice et tante Madeleine, célibataires, se disputaient comme des folles, mais elles étaient adorables avec leurs nièces, et l'oncle Paul, vieux garçon, les regardait d'un air navré.
Après la mort d'Antoinette survenue dans un sanatorium de Suisse en 1921, la vieille grand-mère ne rit plus jamais.
Tante Gabrielle appelée Gaby, gaie et charmante avait épousé Marc Didier et eut 4 enfants qui vivaient tous aussi à Rixensart.
Edouard Dubost lui était un homme délicieux, intelligent, vif, cultivé, ayant le sens des autres il avait toujours le mot gentil pour tous. Il adorait sa famille, ses petits-enfants, et son travail de notaire, très lancé à l'époque.
Première étude de Bruxelles, centre notarial de toute la noblesse de Belgique et notaire du Roi. (A ce propos je me rappelle que ma mère ayant 8 ans assise sur les genoux du Roi à Rixensart lui avait tiré la barbe et il avait beaucoup ri.)
Edouard Dubost était aussi vice-président du Sénat et s'occupait de politique toujours avec conviction religieuse, car il était très chrétien ; et aussi avec modération, car il avait un grand respect de la liberté et des autres.
Maman (Louise Le Clercq) disait que c'était un homme parfait, elle le savait bien, elle qui était sa préférée, "Loulou" comme il l'appelait.
La guerre de 1940
Le 10 mai 1940 Hitler ayant déclaré la guerre à la Belgique, Guy Mourlon, Jean Mélot, Robert Henry de Frahan, Albert Greindl partirent au front. La guerre ne dura que 18 jours et le Roi Léopold signa la reddition et décida de vivre en Belgique avec son peuple, pendant que ses ministres s'enfuirent en Angleterre.
Guy et Albert revinrent sains et saufs et furent démobilisés, Jean et Robert furent internés dans des camps de prisonniers en Allemagne, dont ils revinrent un an après.
Pendant ce temps-là la famille Dubost: le grand-père, le chauffeur, la femme du chauffeur, excellente cuisinière d'ailleurs, tante Madeleine dite Dédaine empruntai la Packard pour s'enfuir en France, ayant peur de l'occupant futur, l'oncle Paul avec sa Dodge prit tante Alice et d'autres et on se retrouva tous en résidence à Bagnières-du-Luchon dans les Pyrénées, dans une grande villa spacieuse à 21 rue Soulerats) pour passer 3 mois en attendant les nouvelles.
Pour moi Claudine, l'évacuation fut un vrai enchantement, c'était la première fois que je voyageais et tout était extraordinaire, même les interminables files sur les routes : les réfugiés descendaient en voiture, vélos, à cheval ou à pieds pour aller en France.
Pendant ce temps les soldats anglais (appelés les tommies avec leurs casques comme des assiettes à soupe) remontaient vers le front. Près d'Amiens une usine à sucre brûlait et cela sentait le caramel brûlé.
A Rouen rendez-vous des 4 voitures devant le consulat belge. Papa n'étais pas là. J'ai appris après qu'il avait rencontré son demi-frère Charles et qu'il lui avait dit tragiquement : "J'ai perdu Louise" (sa femme) et son frère l'avait pris par les épaules en lui disant: 'Toutes mes condoléances!"
Explications et remise en place des choses, le lendemain retour au consulat: quelqu'un saisit maman en arrière, je me retourne affolée: c'était papa.
On continua sur Luchon où on loua une villa pour une durée indéterminée. Mes sœurs passaient leur vie à s'occuper des blessés qui peuplaient tous les hôtels, pourtant nombreux de cette ex-ville de cure thermale.
Henri Le Clerq et Louise
Ils s'installent directement en 1910, n°1 place de l'Industrie appelée plus tard square de Mééus. Ils y tenaient porte ouverte et tout et chacun pouvait atterrir n'importe quand chez eux. Ma mère (Louise) ne vivait que pour une chose : aller au 15 rue de Naples où elle passait presque toutes ses après-midi près de ses trois filles : Mana Mélot, Monique Henry de Frahan, Alberte Mourlon Beernaert, qui y vivaient dans 3 appartements avec leur mari et leurs enfants. C'était une ambiance charmante et tout le monde s'entendait bien.
Chaque mercredi soir au square de Mééus, il y avait un diner de famille avec les parents et les ménages, excepté Nicole et Ignace qui se trouvaient trop éloignés.
Le lundi toutes les sœurs se précipitaient dans la cave, de septembre à décembre, car papa adorait la chasse et ramenait plein de gibier. Les premières arrivées choisissaient.
Apres la guerre de 40-45 l'été les parents louaient toujours une villa à la mer où chacun s'amusait car les Mourlon louaient aussi tout près et il y avait des échanges et des fous rires.
En 1950 papa reprit les écuries de Rixensart.
II arrangea la maison et le jardin et les Frahan, les Mélot, les Delacroix y passèrent les 2 mois d'été avec une bonne qui logeait au village. Les enfants Mourlon, Greindl et Claeys Bouuaert y vinrent passer de nombreux séjours pendant lesquels ils s'amusaient follement entre cousins.
A la mort d'Henri Le Clercq père des six filles, Guy Mourlon, mari d'Alberte et notaire de famille conseilla à sa belle-mère Louise, (pour ne plus avoir à gérer Rixensart) de donner ces écuries transformées à Claudine, sa cadette.
Problème épineux : maman avait offert à Monique Henry de Frahan de choisir en premier lieu puisque pendant toute la guerre elle y avait passé les étés en camping. C'était elle aussi qui avait insisté pour reprendre cette terre à la succession Dubost. Mais Monique dit qu'elle n'y habiterait pas, mais qu'elle la voulait pour sa fille Doris della Faille. Alors maman décida que sa propre fille Claudine passerait avant sa petite fille. Et le sujet fut clos.
Anecdotes
Certains enfants regrettèrent les séjours à la mer (Mireille entre autres) qui étaient beaucoup plus distrayant. Bernard Henry de Frahan qui avait régulièrement une deuxième session adorant jouer au mah-jong chaque soir.
La journée beaucoup s'adonnaient au tennis (la piscine n'existait pas encore) ou à la folie du moment : le croquet. Pierre Mourlon, notre jésuite national y excellait.
Tante Dédaine la sœur célibataire de Louise adorait ses neveux et nièces et venait pour un rien à Rixensart, son ancienne patrie, par les soins de Monique et Robert Henry de Frahan, ses chauffeurs attitrés. Elle avait une santé fragile, beaucoup de migraines pendant lesquelles elle se tenait chez elle dans son ravissant appartement rue Washington. Mais quand elle était bien, heureusement bien souvent, elle était gaie, pleine d'humour et très affectueuse. Elle était toujours d'une élégance raffinée en rose, blanc ou bleu ciel virevoltant plusieurs jours par semaine chez ses nombreux et riches amis dont Ernest Solvay ancien propriétaire du superbe château de la Hulpe. Elle y était reçue volontiers avec sa nièce Claudine Delacroix accompagnée de ses enfants Eric et Katya. Ils étaient servis en gants blancs par le maitre d'hôtel et repartaient toujours chargés de fleurs et de fruits.
Henri Leclercq avocat
Il était fort apprécié et fort généreux car il ne faisait jamais payer les invalides sans moyens. Souvent, pendant la guerre surtout, ils apportaient des cadeaux en nature : dinde, fruits, légumes, confitures.
Un jour l'un d'eux offrit un coq vivant. La vieille bonne et moi-même nous battirent pendant plus d'une heure à la cave pour l'attraper. C'était comme Robert Lamoureux et son sketch avec le canard. Tout était renversé, cassé, abimé et le coq était toujours vivant. Comme a
vocat il fut efficace, mais modeste. Son gendre Guy Mourlon (qui avait brillamment réussit en reprenant le notariat du grand père) disait toujours qu'il demandait toujours des honoraires datant de la guerre de 1914.
Après 1950
Mais à Rixensart (écuries transformées en 1950) de nombreux petits enfants séjournaient pendant l'été, s'amusant follement entre cousins avec le tennis et d'autres choses notamment une partie de camping folklo dans la cabane du fond avec feu de camp sur te plancher.
Hopa et granny étaient toujours heureux d'être beaucoup entourés et n'étaient jamais dérangés par le bruit et le nombre. Hopa, toujours gai, plein d'humour et d'entrain, jouant au tennis et montant à cheval jusqu'à 77 ans, en entrainant les jeunes et moins jeunes à sa suite.
Claudine a repris la maison de Rixensart sur le conseil de Guy Mourlon, à la mort d'Hopa.
Mais tous continuaient à venir les 3 mois d'été, selon l'usufruit de granny. L'entente était cordiale Avec le temps (25 ans après la mort de granny) les cousins ont été séparés par la vie, mais à l'occasion sont toujours ravis de se retrouver entre eux et on sent dans une bonne chaleur humaine une vie familiale intense.
Beaucoup de petits-enfants (25) ont eu eux-mêmes une grande famille et la tribu Le Clercq (malheureusement aucun ne porte le nom) n'est pas prête à s'éteindre. Il y a aujourd'hui 109 arrière-petits-enfants !
L'entrée dans la famille Le Clercq (Ignace)
La famille d'une fiancée, c'est un peu comme le décor d'un théâtre.
On va au théâtre pour voir les acteurs, en l'occurrence, l'actrice unique. Le décor est accessoire. On ne "tombe pas amoureux" d'une fille parce qu'elle est la fille de X, ou la sœur de Y. On l'aime parce qu'elle est "elle". Et le monde s'arrête là.
Il faut cependant voir qu'elle est ce qu'elle est, parce qu'elle est membre de cette famille, et un peu à cause de cette famille. L'aimer, ce n’est pas la priver de ses racines. On peut, au début, ne pas voir cela en toute lucidité. Bientôt, cependant, l'amour nous aide à le voir. Bientôt aussi, on voit qu'en l'épousant on est devenu aussi membre de sa famille.
J'ai fait cette découverte, comme tout le monde : graduellement. Des liens d'affection se tissent, en même temps que se développe la connaissance réciproque. Car l'entrée dans une belle-famille ouvre le champ d'une connaissance réciproque : j'apprends à les connaître, ils découvrent aussi, avec quelque variété dans l'attention et dans la bienveillance, qui je suis.
D'emblée, certaines différences ont apparu très clairement dans ce qui faisait l'atmosphère de la famille de ma fiancée et la mienne. Habitué à une vie à la campagne, où ce qu'on appelle les "relations" étaient rares, et le lien familial très fort, j'ai découvert une famille vivant en ville, connaissant et voyant régulièrement de nombreux amis. Par contre, les relations avec les cousins et la parenté plus éloignée étaient moins suivies. Un trait dominant : la grande figure du grand-père Dubost dominait les liens familiaux. Mais il n'était plus là. Son souvenir vivait dans les relations avec la famille Dubost (Tante Madeleine, Dédaine, et les Didier). Du côté Le Clercq, les contacts étaient amicaux, mais me semblaient montrer peu de densité.
Dans ma belle-famille proche, l'air qu'on respirait était résolument féminin. J'ai toujours eu beaucoup d'affection pour mon beau-père. J'admirais sa lucidité intellectuelle, sa franchise, sa courtoisie, et son courage. Mais plongé dans le "bain", de son entourage féminin, il semblait manquer un peu d'air. Le nombreux peuple féminin remplissait les conversations (sauf quand Guy Mourlon était là : alors tout le reste devenait simple figuration).
II m'est arrivé, plus souvent que Claudine ne s’en souvient, de participer aux diners de famille du mercredi : c'était aussi le jour de mes cours à l'Ecole Fiscale, et alors je les rejoignais après mon cours. Surprise : dans ce monde si féminin régnait une discrimination incompréhensible. Les femmes (adultes) ne recevaient pas de vin ; s'il y avait un lièvre ou un faisan, on le réservait aux hommes, et les femmes recevaient une tranche de jambon : toujours du jambon cuit, jamais du jambon fumé. Les fromages étaient ignorés; par contre les pâtisseries étaient envahissantes. Quant aux conversations, je n'avais guère de souci : il arrivait qu'une de mes belle-sœur me pose une question, mais sans attendre la réponse.
La "discrimination" que je viens de mentionner jouait aussi à mon avantage. Granny, très tolérante à mon égard, à bientôt découvert qu'un morceau de camembert et un verre de vin me faisaient plaisir. Elle a accepté que je puisse avoir des goûts aussi singuliers, et depuis lors, chaque fois que nous arrivions, elle allait chez son épicier acheter un camembert et sortait une bouteille de vin. Nous reprenions ce qui en restait, car il n'y avait pas d'autres amateurs sur place.
Je n'ai jamais rencontré un livre, dans le genre "Ce qu'il faut savoir sur..." détaillant l'art de s'intégrer dans sa belle-famille. A celui qui se sentirait capable d'écrire un tel livre, je recommanderais d'y intégrer un chapitre sur le sens de l'humour. Rien ne définit mieux l'esprit particulier d'une tribu. Là aussi, c'était la majorité féminine qui donnait le ton. Les remarques humoristiques étaient assez souvent "ciblées" sur une personne. Mais je dois dire que toute médisance était soigneusement évitée.
Le bloc familial était solidement établi square de Meeus et rue de Naples (aussi rue Belliard, quand les Mourlon s'y sont installés). Nous étions trop loin pour participer librement à la vie quotidienne de ce "bloc". Mais il y avait les séjours à la mer, qui accueillaient aussi notre famille, encore peu nombreuse à l'époque. Assez souvent, après le repas de midi et une courte sieste, mon beau-père proposait une promenade, que j'étais souvent seul à faire avec lui. De Duinbergen ou du Zoute nous allions, par la plage ou à travers le Zwin (non clôturé à l'époque) vers Cadzand. Ou bien dans les bois. Mon beau-père parlait de ses expériences professionnelles, et je l'écoutais volontiers. Il avait l'art de ramener un problème juridique à ses composantes essentielles et de construire le raisonnement qui pouvait conduire à la conclusion. Il s'agissait surtout de problèmes de droit civil. Parfois aussi il évoquait d'agréables journées de détente, surtout au cours des voyages et séjours à l'étranger qu'il faisait souvent avec quelques amis. Il aimait la montagne, au point d'entreprendre un jour le tour, à pied, du Mont Rose. Cette performance a d'ailleurs atteint la limite de ses forces, mais il n'aimait pas s'entendre reprocher sa témérité.
Il ne parlait pas de son passé. Il n'a jamais évoqué son engagement en 1914, la bataille de Tervaeten, l'arrivée de sa femme et de ses deux petites filles en Angleterre où il était soigné après son amputation. Quelques mots, à l'occasion, sur son séjour à Sainte-Adresse où, après sa sortie d'hôpital, il avait rejoint le cabinet du premier ministre belge de Broqueville: c'est là qu'a débuté son action pour les invalides de la guerre.
En vacances les enfants bénéficiaient de sa générosité. Il payait facilement une heure de location de bicyclettes ou aussi, quand nous étions à Rixensart, une heure de cheval "chez Nicolas".
Un détail pour terminer. Un jour où la famille était réunie à la mer, nous avons pris la route ensemble. Il devait rentrer à Bruxelles pour je ne sais quelle affaire, et me déposerait à Gand. En descendant de voiture, je le remercie, comme il se doit. Il me dit: "Je te remercie aussi". Un peu étonné, je demande pourquoi. Il répond : "parce que tu me donnes de si beaux petits-enfants". J'ai mieux compris plus tard quand j'ai, à mon tour, éprouvé la même affection pour les parents de nos petits-enfants
Grand-Père « Oupa » (Pierre)
La grande guerre de 1914 vue sous deux angles
Vu de mes yeux de petit garçon (dans les années 1945/50, j'avais entre 7 et 12 ans), le bras gauche coupé de mon grand-père, que nous appelions tous familièrement « Oupa » (mais je ne sais plus pourquoi), me fascinait beaucoup. En ce temps-là, je me souviens fort bien que j'allais chaque semaine prendre un repas de midi « place de l'Industrie », devenue depuis square de Meeûs, et que c'était un moment agréable. Pour ne pas être trop interrogé sur mes études, que je faisais alors d'abord en néerlandais, puis en français, au Collège St-Jean Berchmans (centre-ville), je me rappelle que j'aimais demander à mon grand-père, au cours du repas ou bien juste après : « Oupa, raconte-moi encore ton bras... et la grande guerre que tu as faite... »
J'avais alors droit à un bel exposé des exploits de la grande guerre, de la mobilisation rapide à l’été 1914, de l’engagement volontaire de beaucoup (dont mes deux grands-pères), de la campagne glorieuse, du port d'Anvers isolé de Bruxelles dès septembre 1914, puis malgré tout de la retraite vers l'Yser et de la grande bataille de l'Yser (octobre 1914) : les Allemands y ont été bloqués et n'ont jamais pu s'emparer de cc petit bout de territoire. Il me parlait du grand roi Albert et de la reine Elisabeth qui se faisait infirmière pour les soldats... Il ne se mettait pas trop lui-même en valeur, mais il exaltait la résistance « héroïque » des soldats et des Belges. Récit passionnant !
Le moment le plus émouvant était celui où il en arrivait aux blessures de guerre et aux nombreux morts dans des circonstances dramatiques, d'ailleurs bien difficiles à me représenter pour moi à cet âge. Mon autre grand-père (celui dont je porte le nom), un jour d'octobre 1914 a été durement blessé au combat et est retourné vers l’arrière pour se faire soigner ; en vérité, on ne l'a plus jamais revu. Certes, ma grand-mère (Granny Mourlon) a toujours espéré le revoir après la guerre, en pensant opiniâtrement qu'il avait été fait prisonnier, lors de cette bataille de l'Yser, et donc emmené en Allemagne... Il n'en était rien, car on a retrouvé en 1918 son corps, à l'état de squelette, mais identifiable grâce à sa montre, son alliance, sa plaque militaire. Il a donc été enterré au cimetière militaire de La Panne, où bien plus tard j'ai été à quelques reprises me recueillir : il est facile d'identifier sa tombe, à l'entrée de ce grand cimetière (série d'indications). C'est ainsi aussi qu'au Collège Saint-Michel, dont me voici depuis peu le Supérieur des Jésuites, une grande plaque des anciens morts à la guerre reprend le nom Pierre Mourlon Beernaert (ce qui m'impressionne !)
Puis, Oupa en arrivait à l'affaire de son bras gauche, coupé un peu en dessous du coude, et montrant un petit moignon, qui - à mon admiration - n'empêchait nullement Oupa soit de nager (mais il y mettait alors un petit chausson), soit de monter à cheval (mais il y mettait alors un petit crochet pour tenir les rênes), soit de conduire une voiture (le volant avait une poignée pour offrir une belle prise à la main restante), soit même de jouer au tennis en serrant ses balles contre sa poitrine. Tout cela, mon grand-père le faisait, si ma mémoire ne me trahit pas, en s'amusant beaucoup mais sans jamais exceller. Or j'admirais et son courage et sa joie de vivre, sans parler ici des voyages et des ascensions diverses auxquels il tenait et dont il profitait beaucoup...
Toujours est-il que, en ce mois d'octobre 1914, à l'Yser, Oupa fut vilainement touché au bras gauche et qu'on lui mit un des derniers garrots disponibles, avant de l'expédier vers l'Angleterre avec beaucoup de blessés : on dut l’amputer de l'avant-bras à Londres à la fin-octobre, à cause de la gangrène. Cependant, sa femme (Granny Le Clercq) alla vite l'y rejoindre et c'est ainsi que naissait en octobre 1915 à Wimbledon... ma chère mère, leur troisième fille. Ces récits m'enthousiasmaient et je ne me lassais jamais alors de les réentendre. J'étais fier de ces exploits et de ces aventures, en un temps particulièrement difficile, à la « grande guerre »...
Oupa est décédé paisiblement à 77 ans, le 3 mai 1964, suite à une thrombose ; c'était le jour de la profession de foi et de la confirmation de ma jeune sœur - Diane, décédée en janvier 1986 dans un terrible accident de voiture. Or il se fait qu'après sa mort, on a retrouvé un ample carnet qu'il avait tenu au jour le jour pour ces évènements de 1914; grâce aux bons soins de Nicole Bribosia, on en fit alors un petit volume, que j'ai repris sous mes yeux intitulé un peu solennellement « Mémoires de Guerre — Henri Le Clercq», cc carnet de notes comprend 208 pages dactylographiées, divisées en huit chapitres. Ses notes quotidiennes, tirées d'un carnet qu'il portait toujours sur lui en cet été/automne 1914, commençaient le 4 août à Bruxelles et s'achevaient le 26 octobre à Londres... La blessure grave et l'amputation qui s'ensuivit ont détourné son attention vers des problèmes plus urgents. J'ai lu ce volume attentivement : quelle ne fut pas ma surprise d'avoir un TOUT AUTRE récit de la guerre... Et cela me fit bien réfléchir !
En fait, la lecture des événements au fil des jours, sans du tout, en connaitre 1' issue (il écrit par exemple — je cite de mémoire : « La guerre sera sûrement finie avant Noël, et nous n'allons faire qu'une bouchée des envahisseurs... Soyez tous sans inquiétude, je reviens bientôt... ») m'est apparue comme toute simple, pleine de naïveté et de fraicheur, mettant en avant des liens d'amitié et des impressions : on était en effet fort mal informé des événements et de l'avance des Allemands et de la stratégie (s'il y en avait une) de l'armée belge pour faire face, puis se replier sur l'Yser ! Mais la relecture, dans le récit du grand-père qui portait un de ses petits-enfants (moi ici) sur ses genoux et qui me refaisait le récit épique de ces quelques mois de 1914, cette relecture qui me passionnait et que je ne me lassais pas de réentendre était d'une tout autre nature et d'une tout autre maitrise des événements.
Tout simplement, parce que notre Oupa avait 27 ans et deux filles en 1914, mais qu'il était de multiples fois grand-père, avec ses six filles (dont ma mère) et qu’il avait autour de la soixantaine lorsqu'il reprenait avec enthousiasme le récit de la « grande guerre »! Ne trouvez pas que c'est réellement frappant ? II en va ainsi dans bien des domaines : lire les évènements au quotidien ou bien les relire dans la mémoire éveillée en resituant les choses et toutes leurs conséquences... voilà deux opérations très distinctes. Laquelle est la plus « vraie » ? Tout dépend de ce qu'on entend par là, bien entendu. Pour ma part, je ne me lassais pas de réentendre Oupa parler de la grande guerre et des exploits de 1914; par ailleurs, je fus fort surpris d'en lire après sa mort le récit de 1914, simple et même naïf, et je m'en suis vite lassé. Tout compte fait, je pense aujourd'hui que, à tout prendre, le récit passionnant du grand-père était plus « vrai » que son travail de jeune « journaliste » (si on ose parler ainsi !)...
J'ajoute enfin qu'après l'armistice (novembre 1918), quand on eut retrouvé le corps de mon autre grand-père, c'est Oupa qui se chargea de faire son éloge solennel et de narrer aussi les derniers jours de vie de Pierre Mourlon Beernaert. Toute la famille sait alors qu'une quinzaine d'années plus tard (octobre 1936), l'une des filles d'Oupa épousa le fils de ce Pierre Mourlon, si bien que je suis né, rue de Naples, en octobre 1937... Mais c'est une autre histoire !
Pierre Mourlon Beernaert sj.
Souvenirs d'Henri LE CLERCQ (Baudouin Le Clercq)
En cette fin du mois de janvier 1935, Henri LE CLERCQ avait, d'après mes parents, montré une certaine fierté à être choisi comme parrain d'un petit garçon prénommé Baudouin alors que lui-même n'avait eu l'expérience que de l'éducation de six filles. Il ne pouvait s'imaginer que l'impertinent bébé allait un jour embrasser la même carrière professionnelle que lui, au sein du Barreau de Bruxelles...
Évoquer la mémoire de mon oncle et parrain Henri LE CLERCQ, nous ramène ensuite en Haute-Savoie en 1948.
Notre famille qui avait découvert Morzine en 1946, y avait été tellement enchantée qu'elle y avait attiré un large entourage familial: Henri LE CLERCQ et sa fille Claudine. Jean LE CLERCQ, sa fille Françoise et son mari Pierre FAVART, Paul et Jeanne BRIBOSIA et certains de leurs enfants. C'est à cette occasion qu'Henri LE CLERCQ s'est découvert une véritable passion pour la montagne, qu'il arpentait journellement avec l'ardeur infatigable qu'on lui connaissait. Habitué d'aller au bout de ses forces, je me souviens d'une journée sombre où il était revenu très fatigué d'une ascension au-dessus de La Praz du Lys. Il avait dû renoncer à poursuivre jusqu'au sommet et avait d'ailleurs déclaré: « J'ai cané » d’autant que, lors de l'expédition, il avait perdu la canne sur laquelle il avait l'habitude de s'appuyer.
Un peu plus tard, la synchronicité de la vie m'avait conduit en vacances de Pâques dans le nord de l'Espagne. Cela devait être en 1951, tandis que j'effectuais une excursion pédestre du côté de Guipuzcoa, j'ai soudain vu passer en contrebas, sur la route, une voiture reconnaissable entre mille : une Ford de couleur vanille et rose. Ce devait être oncle Henri. Je me suis précipité en faisant d'immenses gesticulations sur la route. Il s'est rendu compte dans son rétroviseur de ma présence et nous avons ainsi pu partager notre passion commune pour les voyages et la découverte.
Ceux qui ont connu Profondsart ne peuvent manquer d'évoquer la silhouette d'Henri LE CLERCQ venant fréquemment, depuis Rixensart, rendre visite à son frère Paul. II y avait comme une complicité entre lui, qui était amputé d'un bras, et son frère amputé d'une jambe, comme si ces blessures de la vie les avaient aidés à se comprendre et s'apprécier. Les arrivées d'Henri LE CLERCQ à Profondsart étaient toujours mémorables : que ce soit à cheval ou à pied, il affrontait le climat belge envers et contre tout. J’ai gardé le souvenir de son enthousiasme qui éclatait par-dessus des vêtements trempés et de solides chaussures couvertes de la boue des champs...
Dois-je dire enfin combien mon cher oncle et parrain m'a impressionné par la finesse et lucidité de son esprit lorsque, jeune avocat, j'avais l'occasion de le retrouver dans les interminables couloirs de notre Palais de Justice de Bruxelles.
Henri LE CLERCQ reste dans ma mémoire un homme d'ardeur qui, jusqu'à ce qu'il quitte l'espace-temps, n'a jamais vieilli.
Baudouin LE CLERCQ
Hopa et Granny Le Clercq (Bernard Henry de Frahan)
Avant de vous livrer quelques souvenirs sur mes grands-parents Le Clercq, je ferais une petite mise en garde. Je parlerai de l'époque 45-60 avec le regard que j'avais durant cette période. Les temps ont fameusement changé et il serait vain de faire des comparaisons avec l'époque actuelle.
Je commencerai par Hopa. Nous avons été élevés dans un immense respect pour nos grands-parents. Ma mère admirait et craignait son père, du moins c'est ce que je ressentais.
II y avait évidemment le côté héros de la première guerre. Avoir fait la guerre, y avoir perdu un bras impressionnait. Nous sortions de la deuxième guerre mondiale et la notion de Patrie nous marquait tous très fort. De plus, il avait créé l'œuvre Nationale des Invalides de guerre. Invité à beaucoup de manifestations d'hommages, je me rendais compte que c'était là une des grandes aventures de sa vie.
Ensuite il y avait le travail. Il adorait le travail et son métier d'avocat. C'était le travail pour le travail non pour l'argent. (Il en avait...)
II y avait les études pour les garçons. C'était pour lui capital. Bravo pour celui qui avait bien réussi. Pour celui qui avait échoué c'était un autre problème pour lui et pour sa mère.
Il adorait le sport. Mens sana in corpore sano. La chasse pas pour tirer mais pour se promener dans la nature. Dieu sait combien j'en ai faites des balades avec lui en poursuivant des perdreaux. L'équitation, la natation, le tennis, la montagne et les marches. Notamment la traversée du Zwin vers Cadzand était un grand classique. Il y avait aussi ces fameux dîners où il adorait prendre la parole. Il adorait faire rire mais un speech n'était pour lui vraiment réussi que si la plupart pleuraient. C'était un des derniers patriarches.
Avec Granny, c'est avant tout une immense gentillesse. J'adorais ma grand-mère. Il y avait entre nous une grande complicité.
Je ne l'ai connue que gentille. Toujours vouloir me faire plaisir quand je la rencontrais. C'était incroyable. On se voyait beaucoup. Non seulement il y avait le déjeuner hebdomadaire mais aussi les vacances à Rixensart suivies du fameux mois d'août à la mer: Zomerlust, Palfijn, l'Arche, Louki, Joyzalle et j'en passe. Elle était l'âme de la famille.
Le souvenir des fêtes de Noël est ineffaçable. Il y avait les cinémas et surtout le premier voyage à l'étranger en 1953 à 14 ans.
Granny avait une foi profonde qu'elle vivait sans complexe. Je trouvais qu'elle ne pensait pas à elle mais uniquement à faire plaisir. Donc je ne pourrai pas être impartial : j'étais et je suis resté un fan de Granny.
Dans le couple il y avait une grande complémentarité. Il a certainement influencé la manière de vivre de beaucoup d'entre nous.
J'écris cet article de la mer où Annick et moi avons loué une villa pour notre progéniture. Villa située avenue Foch pas très loin de l'endroit où se trouvait Joyzelle.
Quand on se retrouve tous autour de la table, je mentirais en disant que je ne vois pas de temps à autre Granny et Hopa me faire un clin d'œil.
Knokke Le Zoute 06.05.2001
Souvenir de granny et Houpa (François Mélot)
Je me souviens avec beaucoup de tendresse de Granny et Houpa qui ont tous deux marqué mon enfance de merveilleux souvenirs.
De ma toute petite enfance (1946-1951) je garde d'abord le souvenir des vacances à la mer, à Duinbergen, dans des villas telle que Tangage, Palfijn, le Castelet, l'Arche et d'autres dont j'ai oublié le nom.
Nous y passions le mois d'août avec Granny et Houpa, nos chers cousins Henry de Frahan et tante Claudine qui n'était pas encore mariée à l'époque.
Je me souviens que nous allions voir jouer mon père qui disputait le tournoi de tennis de Duinbergen
A partir de 1952, nous émigrâmes au Zoute dans la villa Loucky d'abord, pendant deux ans, et ensuite dans la célèbre villa Joazelle (1954-1955) qui appartenait la famine de Jardin. L'infatigable Houpa nous entrainait dans des excursions en Hollande ou dans de grandes promenades dans le Zwin jusqu'à Cadzand.
Je me souviens avoir échangé mes premières balles de tennis cette année la (1955) avec Houpa sur un vrai terrain. Certaines parties de croquet ou de dames étaient parfois fort animées, surtout entre Claudine et Bernard !
Au Zoute, nous avions la joie de retrouver nos chers cousins Mourlon qui au fil des années ont loué plusieurs villas dont la plus célèbre fut sans conteste la villa « Colvert » Invité à de nombreux séjours par oncle Guy et tante Alberte toujours si accueillants, j'en garde de merveilleux souvenirs d'enfance partagés avec mon inséparable cousin Juan avec qui je faisais les 400 coups.
Vers 1955-1956, Houpa avait reçu en cadeau des Invalides de guerre dont il était le président, une des premières télévisions sorties sur le marché belge.
Mireille et moi allions souvent le samedi soir square de Meeus pour y suivre avec passion, sur le petit écran, les exploits de Kit Carson ou du capitaine Galland qui passaient en avant-soirée.
Tandis que Granny cousait dans le salon d'à côté, Houpa venait souvent nous tenir compagnie devant la télévision. Il s'endormait assez régulièrement ce qui nous permettait de continuer à regarder la suite du programme qui n'était pas nécessairement enfants admis.
De temps en temps, de la pièce d'à côté, on entendait la voix de Granny qui criait : « Henri est-ce pour les enfants ? ».
Houpa se réveillait alors en sursaut et marmonnait un vague « oui » bouboune en se rendormant.
Le jeudi après-midi nous allions également souvent chez eux avec les cousins pour regarder l'émission enfantine « les mille et un jeudis ».
J'allais parfois loger le week-end square de Meeus et j'aidais Houpa à nettoyer son fusil pour la chasse du lendemain.
J'en profitais parfois pour chiper dans le bureau de son vieux secrétaire Monsieur Dubuquois, des trombones et des élastiques avec lesquels je confectionnais des catapultes.
Plus tard, j'allais également souvent déjeuner chez eux le mercredi midi. Le dessert prépare par la bonne Marthe ne variait jamais compote de pommes et fromage blanc.
Houpa me posait toujours des questions très sérieuses auxquelles j'essayais de répondre tant bien que mal du haut de mes onze ou douze ans.
Le meuble le plus important pour les enfants square de Meeus était sans conteste le bahut du salon qui dans son portique central abritait la célèbre armoire à bonbons, bonbons que Granny nous distribuait toujours généreusement.
J'adorais Granny dont j'étais le filleul. Elle ne laissait jamais ma mère le soin de nous habiller Mireille et moi.
Elle venait nous chercher périodiquement à notre plus grande joie pour des courses vestimentaires.
Les fêtes de Noël chez Granny et Houpa constituent aussi des souvenirs fabuleux. Un sapin qui me paraissait immense à l'époque était dressé au rez-de-chaussée entre le bureau d'Houpa et la salle à manger. Tous les cousins, en rang d'oignons, attendaient avec impatience dans le vestibule que tout le monde soit arrivé, avant de pouvoir entrer pour chercher avec fièvre son cadeau sur le sapin.
Puis venait le goûter et enfin les sketches et les chants mis en scène par tante Monique, tante Alberte et maman et joués par les petits enfants.
A l'occasion de la Noël, nos cousins Claeys Bouuaert venaient passer une semaine chez Granny et Houpa, ce qui nous donnait l'occasion de les voir.
C'était aussi square de Meeus qu'avait lieu le traditionnel goûter du nouvel-an qui rassemblait les familles Le Clercq et Dubost élargies.
En 1956, Houpa décide de faire restaurer les dépendances de Rixensart afin que toute la famille puisse y passer les vacances d'été. Au lieu d'un mois à la mer, nous recevions deux mois à la campagne.
L'été 1956, nous émigrâmes donc du Zoute vers Rixensart où un terrain de tennis fut construit ma grande joie.
Houpa, qui était excellent cavalier, décida de nous faire monter cheval et nous prîmes des leçons de manège chez Monsieur Nicolas à Lasnes. Des heures durant, nous suivions Houpa qui galopait à travers champs sans jamais montrer la moindre fatigue alors que nous aurions donné beaucoup pour souffler un peu. Débordant d'énergie, il nous entrainait ensuite dans des parties de tennis endiablées.
Nous allions ensuite nous baigner à Profondsart chez l'oncle Paul et la tante Ninette.
Je me souviens aussi avec émotion du château de Rixensart. Construit par le grand-père Dubost (Petit Bon), ce ravissant château de style Louis XV était entouré d'un joli parc.
Lorsqu'au début des années 50, encore enfant, j'avais pénétré pour la première fois dans ce château abandonné depuis la guerre, j'avais été saisi par l'atmosphère des lieux.
Les volets clos ne laissaient passer qu'une lueur grisâtre qui éclairait faiblement le grand hall poussiéreux dans lequel se dressait le majestueux escalier.
En ferment les yeux, et avec un peu d'imagination on sentait revivre toute une époque. On entendait le chuchotement des bonnes à l'office, le tintement des verres en cristal dans la salle à manger et les cris des petites filles Le Clercq jouant dans le parc.
Comment évoquer Granny et Houpa sans évoquer tante Dedaine.
Gaie, spirituelle, un peu excentrique, la sœur de Granny avait un caractère bien trempé et pas toujours facile.
J'avais beaucoup de tendresse pour elle et j'étais toujours impressionné par sa classe et son élégance. Elle arrivait toujours aux réunions de famille en grande dame avec son renard sur les épaules.
A la nouvelle année ou nos anniversaires, elle nous distribuait toujours des billets de 100F tout neufs.
Durant l'hiver 1953-1954, je fus atteint de bronchites chroniques. Tante Dedène ayant décrété que ma mère n'était pas capable de me soigner avait décidé de me prendre chez elle. C'est ainsi que j'ai passé huit jours dans son appartement de la rue Washington, soigné et dorloté par elle et par la concierge qui venait me faire de vigoureuses frictions à l'alcool camphré.
En conclusion de ces quelques souvenirs jetés sur le papier, nous avons eu beaucoup de chance d’avoir des grands-parents aussi merveilleux et dont la générosité de cœur était sans limite. Ils resteront tous les deux pour moi un exemple.
Francois Mélot avril 2001
Noël enfantin square de Meêus (Thérèse)
Le propre des souvenirs, c'est d'être en dehors du temps, dans le désordre, dans la fusion du réel et de l'imaginaire, mais dans la précision des images et des impressions. Ce qui suit date de ma petite enfance, disons avant 10 ans. Je crains que ça n'amusera que ceux qui s'y reconnaissent un peu. A ceux-là, un chaleureux clin d'oeil.
Hotel Galia et Britannique, avenue des Arts. Nous y sommes presque. C'est juste après.
Bruxelles, c'était d'abord les grandes dalles de pierre bleue sur les trottoirs, le son très particulier des trams qui résonnent dans la nuit, ces nuits d'hiver, toujours à Noël, lorsque la maison du square de Meeûs accueillait cette ribambelle de petits flamands dont Oupa était si fier. Une maison que j'aimais. Nous y étions accueillis par Mathilde, avec son chignon et son petit tablier blanc, ses petits pas et son sourire. Il y avait une image du Padre Pio dans sa cuisine. Le menu du souper était assez fidèle à lui-même: purée de pomme de terre avec une tranche de jambon ou un œuf. Pour le dessert, de la compote de pomme fraîche toute chaude avec du fromage blanc. Un vrai délice. Un jour, exceptionnellement, le menu comportait des boulettes. On m'en mit une sur mon assiette, et j'en pâlis d'inquiétude: «A Gand, on reçoit deux boulettes! ». Ce qui provoqua l'hilarité générale. Tante Monique m'en parlait encore trente ans après.
C'était une maison aux coins et aux recoins: le coin de Mr Dubucquoy, des paliers, vestiaires et escaliers un peu partout, et surtout l'office dont le seul nom devait résonner comme une menace pour ceux qui peuvent déjà dîner à la table des grands mais doivent en respecter les règles. Aucun danger pour l'aînée « raisonnable » que j'étais, mais je frémissais d'inquiétude à l'idée que peut-être Philippe…, mais plus probablement Michel...
Je pourrais encore dessiner un plan assez précis de la maison, idéale pour jouer à cache-cache, sauf le sous-sol, peu rassurant, où se trouvaient les cuisines «dans le temps », et les mansardes avec « chambres de bonne », oui, cette maison était tout un cours d'histoire.
Il y avait surtout une boîte à jouets qu'on redécouvrait chaque année le 23 décembre avec le même enthousiasme. On se précipitait pour disposer les mêmes petits personnages sur le tapis aux pieds de Granny, un sentiment de sécurité, une ambiance bienveillante. Comme nous arrivions toujours bien avant le début de la fête de Noël, nous avions l'énorme privilège de pouvoir décorer le sapin de Noël avec Granny. Le raffinement des petits objets de décoration me fascinait. Les boules sophistiquées, les petits oiseaux à longues plumes, les petits anges, etc., avaient quelque chose de tellement plus recherché que ce que nous avions à Gand. Je n'ai jamais été une petite fille plongée dans les contes de fée, mais le plaisir de s'activer avec Granny autour de ce sapin, de pincer très prudemment les petits oiseaux délicats et brillants sur les branches, est agréablement présent dans mon souvenir. Peut-être aussi parce que cette soirée-là s'accompagnait du grand privilège de pouvoir rester éveillée jusqu'à la messe de minuit. Quand j'y repense je comprends mieux pourquoi le petit musulman est si fier la première fois qu'il fait le jeûne du Ramadan avec les grands, pourquoi il le ressent comme un véritable privilège.
II y avait ensuite les fêtes de Noël et les spectacles de haut niveau magistralement orchestrés par Tante Monique et très sérieusement préparés par toutes les branches de cousins et cousines. Les sketchs de Tante Monique étaient généralement les meilleurs, sauf l'année nous avons surpris tout le monde avec nos dames africaines, Michel et moi, noircis de la tête au pied et vêtus d'écheveaux de lin brut autour de la taille. Oupa a adoré. Bref, des ambiances de fête, des souvenirs de bonheur et d'insouciance. Il y avait bien sûr l'excitation autour des cadeaux de Noël et le fait que les cadeaux de certains cousins étaient systématiquement plus grands et plus beaux que les autres, mais je crois que nous (mes frères et moi) nous en sommes vite fait une philosophie. On savait que c'était comme ça, à quoi bon s’en faire.
Granny faisait ses courses chez la « verdurière », ce mot me fascinait, on n'entendait pas ça à Gand. Si je creuse un peu, oui, je savais que j'étais une petite provinciale dans ce décor bruxellois, j'étais très consciente de ne pas être habillée chez Dujardin, sauf les pulls verts ou rouges qui étaient trop petits pour les Mourlon. Mais nous avions la chance d'être de petits phénomènes parce que nous savions parler flamand - ce qui faisait l’admiration d'Oupa - nous savions que nous étions différents, ça nous suffisait. Noël square de Meeûs, c'est des souvenirs heureux, presque enchanteurs.
Je n'ai malheureusement pas de souvenirs très précis d'Oupa. Un grand travailleur, admiré, fier de nous, très sportif, alpiniste (le Cervin), bon cavalier. Je l'ai accompagné en balade à cheval une ou deux fois à Rixensart, mais j'étais une piètre cavalière et j'avais plutôt la trouille. Le souvenir le plus précis est celui de son regard profond aux yeux très bleus lors d'une conversation à Gand le jour de la confirmation de Philippe, quelques semaines avant sa mort. Je me souviens aussi de son admiration pour les Spoutniks et pour Gagarine (savait-on déjà que d'autres malheureux astronautes russes avaient été lances dans l'espace avant lui et n'en étaient jamais revenus vivants ?). Oupa nous a quittés trop brusquement. Ce fut un grand choc. Tout basculait. C'était ma première prise de conscience personnelle face à la mort. J'avais 15 ans. J'entends encore vibrer les clairons sur l’air d'adieu de la Sonnerie au Champs, à St Jacques sur Coudenberg. Je n'ai accepté la mort que 10 ans plus tard, à l' occasion d'un événement très précis.
Mon souvenir de Granny est au contraire beaucoup trop vaste pour être raconté. J’ai logé chez elle, rue de Naples, pendant 4 ans (de '67 à '69, puis de '71 à '73). J’ai quitté la rue de Naples le jour de mon mariage. Granny était fondamentalement bonne, très discrète, très respectueuse de ma liberté, confiante, bienveillante. J’ai pu mettre ma fille de 8 jours dans ses bras une semaine avant qu'elle nous quitte.
Thérèse
Discours prononcé par Me Henri LE CLERCQ, président national fondateur
Pour l’Assemblée générale Statutaire (Congrès national F.N.I.), à Bruxelles (hôtel des Invalides) le samedi 25 avril 1964. (Cérémonie d’hommage aux fondateurs de la F.N.I.)
Cher Président national, mes chers Camarades,
Vous aurez peut-être lu dans les journaux qu'il y a en ce moment à la porte Louise, à l'entrée de l'avenue Louise, une « Foire des antiquités »il y a là de vieilles potiches, de vieilles statues, de vieilles chaises. Eh bien ! Vous aussi vous avez voulu montrer votre affectueuse sympathie à l’égard de vieilleries, mais à l'exposition, elles ne sont pas vraiment authentiques, il y a du chiqué.
En fait, il n’y a pas de chiqué. Nous sommes vraiment de vieilles badernes. Je vous dirai tout de suite que je suis de la classe de 1907; j'ai tiré un bon numéro et, aujourd'hui, c'est à moi qu'échoit le gros lot. Je reçois de vous un magnifique cadeau qui me fait un énorme plaisir et je vous remercie du fond du cœur, parce qu’à mon âge, parce qu’à notre âge, n’ayant plus d'ambition, sauf une seule : on tient encore à ses vieux compagnons quand ils vous manifestent leur attachement, quand on peut prendre dans sa main leur main loyale, quand ils vous disent, les yeux dans les yeux : Eh bien ! mon cher camarade, tu es un brave garçon, tu as des défauts comme tout le monde, tu es quelquefois à côté de la question, mais tout de même on t'aime bien.
C'est ce que vous avez dit ; cela me fait un énorme plaisir. Je vous en remercie du fond du cœur, et je crois que j'ai l'honneur de parler aussi au nom de notre ami Léon Léonard, lui, le grand orateur, moi, je suis le « broebeleir » bruxellois. Seulement, comme j'ai le privilège de l’âge c'est à moi que revient l'honneur de faire le petit « speech » et alors le camarade Baudouin Moerman vous répondra dans la belle langue flamande, en son nom et au nom de mon cher camarade Marcel Defauw.
Je dois tout de même mettre les choses au point, parce que je ne suis pas le plus ancien ; je m'excuse de remonter au déluge, cela ne dure plus qu'une minute, le président national ne doit pas être inquiet. Les deux plus anciens, ce sont Léonard et Defauw, parce que, déjà sousl'occupation 1914-1918, ce sont eux qui avaient fondé à Liège et à Gand et Sylvain De Valkeneer à Bruxelles, et Theo Lauryssens à Anvers, les quatre associations fraternelles des invalides. Quand Port-Villez est venu me donner le mot d'ordre de créer une grande fédération, on m’a dit : C'est très facile. Vous avez quatre modèles ; les quatre modèles c'étalent De Valkeneer, Léonard, Defauw et Lauryssens. Malheureusement il y a deux de ces quatre amis qui nous ont quittés il y a longtemps, je salue leur mémoire. Les deux autres camarades sont là, l’un à côté de moi (Léonard), l'autre (Defauw) en Espagne, c'est tout près, mais sera parmi nous dimanche prochain et nous aurons le plaisir de le voir.
Ce sont les vrais, les plus anciens parmi les anciens, et je suis heureux de pouvoir parler en leur nom.
Encore une fois, je remercie le président national de tout cœur, et vous tous, mes chers amis, je vous remercie de tout cœur de cette délicate et charmante attention que vous avez eue pour moi. C’est un beau souvenir. Chaque fois que je le regarderai, je penserai à vous, mes chers amis. Une fois de plus, un grand merci !